Des
nouveaux assistants sociaux à Rome
Mardi 7 mars 2000, s’est déroulée à Rome une manifestation intitulée « Reclaim carnival, reclaim the street » à laquelle ont participé près de 10.000 personnes. A un moment du cortège dansant —ouvert à toutes les «réalités antagonistes» et privé de service d’ordre— plusieurs danseurs enragés ont attaqué les vitres des banques et d’un ministère puis, pour se défendre de la police, ont brûlé des poubelles. L’envoi de lacrymos et les charges des CRS se multiplient, les danseurs répondent avec des barricades enflammées, les quelques arrêtés sont tabassés par les flics. Le gros déploiement policier —le centre de Rome est blindé pour le jubilé— n’arrive pas à protéger les hôtels de luxe et les concessionnaires.
Les alternatifs des centres sociaux essaient sans succès
de contrôler la situation. Leurs efforts ne seront pourtant
pas totalement vains, puisque le ministère de l’Intérieur
déclarera à la presse apprécier «le
sens civique des jeunes des centres sociaux».
Le lendemain, six centres sociaux (Centro sociale Corto circuito,
Csoa Villagio globale, CS la Strada, CS la Torre, Scola occupata,
Spazio sociale 32) rédigent un communiqué de presse
dans lequel ils affirment : «Nous refusons les accusations
provocatrices qui circulent dans la presse à propos de
la responsabilité des centres sociaux, y compris Villagio
globale et Forte Prenestino, dans les événements.
Le vandalisme n’a rien à voir avec l’histoire
et la pratique des centres sociaux autogérés. [...]
Vidéos, photos et témoignages serviront pour reconstruire
soigneusement ce qui s’est passé». Même
le commissaire est satisfait. D’autres condamnent les «individualités
irresponsables», arrivant à déclarer à
la presse que les centres sociaux exercent un «contrôle
sur le malaise juvénile». Il y en a même qui
proposent d’ouvrir des souscriptions pour payer les dégâts
provoqués par le cortège.
Si tout cela est dégoûtant, on ne peut pas dire que cela soit étonnant. Les centres sociaux (c’est-à-dire les squats légalisés) ont choisi depuis longtemps le chemin ouvert de la politique et de la cogestion (accords avec les ministères, propagande en faveur de quelques candidats de gauche, de centre-gauche et de ...non-droite, présentation de listes civiques, alliances avec Rifondazione comunista et les Verts, subventions des mairies, etc.). La plupart de l’ex-Autonomie ouvrière (qui refuse aujourd’hui l’adjectif d’ «autonome») est sur des bases clairement institutionnelles. Son but est de conquérir toujours plus d’espaces de démocratie sans rupture subversive, puisque le développement des forces productives et des nouvelles technologies est déjà en train de révolutionner la société (comme nous l’explique depuis des années l’ineffable Toni Negri). Pour les ex-autonomes, le sujet historique est devenu —après les mystérieuses métamorphoses de l’ouvrier-masse— la petite entreprise diffuse. Le revenu garanti et le contrôle d’en bas des nouveaux moyens de communication sont les instruments d’une nouvelle citoyenneté qui rend obsolète la violence révolutionnaire. Pour ces magiciens de la dialectique, on peut tranquillement passer des négociations aux affrontements de rue mis en scène avec l’accord de la police (comme dans le cas des fameuses Tute bianche, le service d’ordre du Leoncavallo et des autres centres sociaux du Nord-Est). En politique, on le sait, tout est possible. Les subventions de l’Etat deviennent des «garanties arrachées par la lutte», la légalisation des squats une «importante reconnaissance publique», le déplacement d’un Lager pour immigrés clandestins une «victoire de la civilisation». Pour ceux qui gâchent la représentation de ces ballets immobiles de la paix sociale, la matraque est toujours prête. C’est ainsi, entre autre, qu’on explique la répression de ces dernières années en Italie à l’encontre de tous ceux qui refusent la normalisation.
Quand on tient plus «à sa propre “entreprise culturelle créatrice de revenus” qu’aux désirs de classe» —comme l’ont écrit des anarchistes, vandales et casseurs, le chemin est tout droit. Jusqu’à la délation.
Griphos
article paru dans Karoshi n°2, été 2000, p.25
[" Negrisme
& Tute bianche : une contre-révolution de gauche"
(éd. Mutines Séditions, 36 p., août 2004),
pp. 26-27]