Un été italien, par Quelques complices sans patrie
janvier 2005, 32 pages

Textes et actions de solidarité

Avis aux passagers

Nous sommes tous des passagers. Nous traversons donc cette existence sur terre en sachant n'être que de passage. Et notamment parce que nous ne tenons pas en main le volant qui conduit le voyage de notre vie, nous n'en contrôlons ni la vitesse, ni la durée, ni la destination. Nous vivons cette existence, la seule à notre disposition, en nous contentant de regarder dehors par la fenêtre. Comme des passagers, justement. Sachant bien que rien sur terre ne dure éternellement, qu'un jour ou l'autre on arrive au terminus et qu'on descend.

On a appris que le bonheur est un état momentané. Un jour ou l'autre, les rapports humains se détériorent, le réveil matinal nous ramène au devoir quotidien, les déceptions laissent leur lot de blessures douloureuses. Et le bonheur s'évanouit.
On a appris que l'amour est un plaisir éphémère. Un jour ou l'autre, le cœur ne bat plus comme un fou, l'enchantement des regards se rompt, le désir faiblit. Et l'amour se termine.
On a appris que la confiance est un choix réversible. Un jour ou l'autre, les promesses ne sont pas tenues, les programmes ne sont pas respectés, les mensonges remontent à la surface. Et la confiance disparaît.
On a appris que la paix est une valeur incertaine. Un jour ou l'autre, un manifestant italien est abattu dans la rue, un banlieusard espagnol est déchiqueté dans un train, un civil irakien est bombardé dans sa maison. Et la paix s'en va.
On a appris que le travail est une occupation provisoire. Un jour ou l'autre, la technologie se renouvèle, le secteur est saturé, le marché entre en crise. Et il n'y a plus de travail.

Ainsi, on a appris que toute notre vie est transitoire et précaire. Nous ne pouvons choisir ni les images qui défilent derrière la fenêtre, ni qui s'assied autour de nous. Ce qui arrive, arrive ; inutile de protester, en plus il est interdit d'adresser la parole au conducteur. Voilà pourquoi rien de ce qui arrive ne semble nous toucher. Comme les passagers d'un transport public assistent muets et immobiles à une agression, les passagers de la vie restent muets et immobiles face à toute surprise.

Ainsi, nous nous poussons à réaliser ici et maintenant nos désirs, en hâte avant qu'il ne soit trop tard, que la fragilité de la vie ne nous rende aveugles, insensibles, résignés. Ainsi, nous ne sommes pas non plus surpris d'apprendre que la liberté est une condition provisoire. La liberté aussi, bien sûr. Elle qui a constitué un jour la raison principale pour laquelle vivre, se battre et mourir, revêt aujourd'hui l'apparence d'un privilège indispensable à peu de personnes, et superflu pour beaucoup. Un jour ou l'autre, il peut arriver à chacun d'être accusé de voyager avec de l'essence dans la voiture (c'est arrivé à Sassari, deux arrestations), de recevoir une lettre " suspecte " par la poste (c'est arrivé à Pise, cinq arrestations), de réagir aux rafles de marchands ambulants étrangers (c'est arrivé à Gênes, deux arrestations), de protester contre l'enfermement de personnes coupables d'être nées ailleurs (c'est arrivé à Lecce, une arrestation), d'avoir participé deux ans auparavant à une bagarre avec des fascistes (c'est arrivé à Rovereto, six arrestations). Et la liberté finit là. Ce sont des choses qui arrivent surtout à ceux qui, fatigués d'être des spectateurs de passage, veulent descendre à tout prix de la machine sociale lancée dans sa course réductrice et assassine. En somme, à ceux qui s'obstinent à penser que la liberté est encore une raison essentielle de vivre et de se battre.

A tous les autres, aux passagers tranquilles, nous souhaitons un agréable voyage. Et n'oubliez pas de composter le billet.

Des anarchistes

[Tract qui a circulé à Rovereto vers le 22 juillet 2004]