Un été italien, par Quelques complices sans patrie
janvier 2005, 32 pages

Gênes, 7 juin


Depuis le 7 juin, nous sommes soumis à des “mesures de contrôle” (trois jours passés en prison, puis un mois en résidence surveillée et trois mois de pointage quotidien à la caserne) pour avoir manifesté publiquement notre dégoût face à une opération d’expulsion d’une place de Gênes sur laquel-le se retrouvent d’habitude, entre autres, des marchands ambulants et des étrangers.

Ce jour-là, nous allions rejoindre la place Raibetta pour organiser une initiative contre la prochaine commercialisation du Ritalin, un psychotique destiné aux enfants “trop agités”. A ce moment-là, la police, les vigiles urbains et les employés de l’Amiu étaient en train de procéder à un nettoyage de la place en pourchassant les vendeurs à la sauvette étrangers afin de contrôler leurs papiers et en détruisant leurs marchan-dises. Instinctivement, avec d’autres, nous avons manifesté notre indignation. Un dégoût qui, bien que verbal, a parti-culièrement dérangé, ou de toute façon eu trop d’écho dans le silence de cette “zone grise” qui caractérise le public involontaire des fréquentes rafles policières. Ce doit être pour ça, alors que des dizaines de personnes s’arrêtaient pour comprendre ce qui était pourtant par trop évident, qu’un d’entre nous a été agressé par cinq flics en civil qui nous ont chargé en sortant d’une voiture. Certains d’entre nous ont essayé de le soustraire à l’arrestation –tous se sont fait frapper à coups de pieds, poings et matraques– et la tentative s’est soldée par une chasse à l’homme qui a conduit à la seconde arrestation.

Cette brillante opération de répression contre les vendeurs à la sauvette s’est cependant conclue par quelques “failles” (il paraît que dans la confusion quelques étrangers ont réussi à échapper au contrôle) mais aussi par notre interpellation. Mis en examen pour délits de “résistance à agent assermenté, blessures (certaines aggravées) et dommages”, nous avons été emmenés en prison.

Dans la soirée, les inspecteurs de police ont mis en scène une conférence de presse afin de construire les circonstances et de s’assurer que la tonalité utilisée par les journalistes serait la plus adéquate. L’événement est donc sorti dans les journaux et les médias du coin les jours sui-vants, résumé par des titres tonitruants sur des autos dé-truites et des policiers blessés (!). Un spectacle invrai-semblable, ne serait-ce que pour l’inégal rapport de force, monté pour justifier, couvrir et finalement légitimer ce qui s’était passé dans la rue et la crimina-lisation qui en découlait.

 

Dans la prison de Marassi, nous avons fait connaissance avec les nouveaux barreaux modèle “cages à poules” qu’une entreprise finissait d’installer, avec les grilles dites “anti-évasion” mais en fait anti-protestation, montées pour éviter que les détenus puissent communiquer avec l’extérieur. Nous avons toutefois eu le plaisir de rencontrer la solidarité de ceux qui, comme nous, se trouvaient à l’isolement. Le lendemain, nous avons été interrogés (et refusé de répondre) par la juge Elena Daloiso, fameuse ces derniers temps pour les mesures prises qu’elle a prise à l’encontre des manifestants accusés de “dévastation et saccage” lors de la révolte contre le G8, mais aussi parce qu’elle a classé l’instruction sur l’assassinat de Carlo Giuliani (sur ordre du procureur Silvio Franz, le même qui officie dans notre procès).

La manière dont la juge a motivé le jugement puis confirmé l’ordonnance de mise en détention provisoire et enfin repoussé nos requêtes de remise en liberté pour raisons de travail (« caractère violent renforcé par une idéologie politique ») s’inscrit parfaitement dans le climat de lynchage qui règne. Les motivations de l’ordonnance de remise en li-berté avec obligation de pointage quotidien sont de la même teneur : « nous jugeons qu’un contact fréquent et contraint avec la PG (police et carabiniers), sui-vant cette courte période de détention, est un rappel adéquat au respect des forces de l’ordre ». Ceci en attendant le procès, dont la première audience auprès du tribunal de Gênes a été fixée au 12 octobre.

Ces mesures ne sont pas l’effet d’une dégradation du système démocratique, mais la routine des procédures juridiques et policières à travers lesquelles s’affirme la continuité de l’Etat. Une légalité démocratique qui donne une leçon de taule et de répression à ceux qui n’adhèrent pas au conformisme politique, culturel et idéologique d’une société “ordonnée”, “sécurisée” et “propre”. En somme, de ceux qui par la libre expression de leurs idées et leur comportement créent “le désordre”. Qu’il s’agisse de travailleurs en lutte pour de meilleures conditions, de citoyens exaspérés par les nuisances industrielles, de l’équipage d’un navire qui secourt des réfugiés en perdition ou des “anarchistes de service”, l’avertissement vaut pour tous. Mais le pouvoir de ne pas se résigner à être complices est également en tous.

Pour la liberté de toutes et tous
Pour la fin de toutes les cages
La solidarité est une arme
Les deux intrus

[Nous avons traduit la version publiée sur Tempi di guerra n°3, octobre 2004, p.19]