Un été italien, par Quelques complices sans patrie
janvier 2005, 32 pages

opération “cervantes”, 27 juillet

Une lettre de Sergio Maria Stefani

Je suis en prison depuis quelques mois déjà, et il se peut que j'y reste pour très longtemps. Je dois admettre que cette expérience est en train d'être moins dévastatrice que ce à quoi je m'attendais. Disant ceci, je ne veux pas manquer de respect à toutes les personnes qui souffrent profondément en purgeant leur peine, ni feindre ignorer la violence de la prison qui dès l'entrée, par la fouille au corps viole ta dignité de femme/d'homme, et ensuite avec toutes les brimades permanentes, les provocations ou les véritables tortures des matons, vise à t'anéantir en tant qu'individu et à t'extirper toute forme de li-berté et d'intimité.

Celui qui réussit à voir les barreaux et les chaînes qui nous emprisonnent hors de la prison n'en souffre pas moins, mais sera peut-être moins traumatisé par ce qui est la manifestation la plus concrète et la plus brutale de la domination : la réalité carcérale. Par ailleurs, celui qui est tombé, au nom de sa lutte pour la liberté, victime de la vendetta de l'Etat peut au moins se consoler d'être un évadé d'une autre prison, celle de l'obéissance et de la résignation.

Il est évidemment difficile d'être privé de la proxi-mité et du contact des compagnonnes et compagnons ; il est insupportable de voir ses poignets enserrés dans des menottes ; l'inactivité forcée est odieuse et les rêves de nombreux détenus sont probablement agités par le bruit d'un portail qui se ferme, mais je ne peux que me sentir chanceux par rapport à ceux qui ne peuvent concevoir de rapport humain hors du dualisme exploité-exploiteur ; ceux dont la journée est divisée en heures, minutes, secondes et ont au poignet une montre dont le tic-tac est bien trop identique au tintamarre des chaînes ; à ceux dont les horizons sont étroits et bouchés par le béton des usines et des immeubles, le même béton que celui d'un mur d'enceinte ; ou à ceux qui sont désormais tellement ahuris par la cacophonie produite par les machines et ces chers appareils électro-domestiques, par les publicités de la radio et de la télévision et par la sonnerie du téléphone portable, en somme par le " bien-être " technologique, qu'ils ne réussissent plus à entendre la voix de notre Mère la Terre qui nous invite à se réapproprier notre existence, à redécouvrir la joie de la communion avec la vie et l'exaltation d'être encore vivant et de pouvoir agir.

Divers/es compagnon/nes me demandent des textes et, certes, je ne pourrais qu'être enthousiasmé par la possibilité d'apporter une contribution malgré la galère à laquelle je suis soumis, mais la réalité est que les choses à dire sont toujours les mêmes ; la prison ne m'a apporté aucune illumination particulière, seulement une plus forte conviction qu'elles sont justes et qu'il est légitime d'utiliser tous les moyens pour abattre un système qui non seulement produit, mais tente aussi de légitimer la prison et toutes les autres nombreuses cages.

Si je peux tirer une leçon de cette expérience, c'est la certitude qu'elle en vaut la peine : qu'il est préférable de risquer sa vie et sa liberté (n'oublions pas que nous vivons soumis à une technocratie capitalistico-industrielle qui n'accepte pas de contestation hors de la pseudo-opposition réformiste prompte au compromis), plutôt que de vivre une existence dans la grisaille suffocante des villes et des consciences endormies.

Je ne me lamenterai jamais de ne pas avoir atteint le but de ma lutte, parce que le seul fait de décider d'agir en mon nom pour détruire ceux qui veulent réduire l'homme, les animaux et notre Mère la Terre à de simples ressources et marchandises a déjà été une libération.

Mon chemin en tant qu'anarchiste vert et en tant qu'entité profondément amoureuse de la vie dans toutes ses manifestations m'a peut être mené entre les murs d'une prison, mais même à pressentir combien se révélera grand cet obstacle, je ne peux oublier toutes les personnes merveilleuses que ce chemin m'a permis de rencontrer, ni la joie profonde qu'elles m'ont offert.

Il me reste la sensation d'être plus libre que ces pâles figures qui tiennent en main les clefs de ma cage et l'espérance que tou/tes les compagnon/nes que ma situation met en colère fassent fructifier ce qu'ils éprouvent en transformant la rage en une arme contre le système qui m'emprisonne, et continuent les luttes dont je me suis toujours senti proche.

Novembre 2004
Un compagnon libre

 

(Traduit d’anarcotico.net du 24 novembre 2004)