" Recueil de textes argentins (2001-2003)"
éd. Mutines Séditions, 48 p., novembre 2003


Pour un autre 20 décembre…


Pour faire clair et simple : oui nous sommes sectaires. Comme le disait un compagnon, le camp de la “révolution” se divise entre ceux qui s'accommodent de la police et ceux qui veulent la détruire, en tant qu'institution et que mentalité. Ce sain sectarisme nous amène d'ailleurs à nous unir dans l'affrontement à ceux qui désobéissent aux directives de leurs chefs, échappant ainsi à leurs calculs et spéculations.

Les politiciens qui constituent le front de la gauche du capital persistent dans la voie d’une pathétique impuissance. Leur seul objectif est d'accumuler un maximum de forces en vue de prendre un jour le Palais d'Hiver. Puis ils liquideront leurs opposants politiques, ceux-là mêmes qui furent un jour leurs alliés tactiques. On les voit donc déployer tout leur arsenal politique et faire usage des mensonges comme de la démagogie, qu'ils justifient par des explications scientifiques et la dialectique révolutionnaire.

Or, c'est la question de l'autonomie individuelle et de la liberté, de la faim et de la justice, c'est un problème social qui est posé. Et dans la situation actuelle, il faut se demander si les réponses peuvent se réduire aux solutions institutionnelles qui se profilent du côté de la gauche la plus radicale comme du côté de la droite la plus odieuse.

Les deux faces d'une même médaille.

Le 20 décembre…

Un gouvernement totalement discrédité, le blocage des économies des épargnants, les pillages qui échappent au contrôle des péronistes, l'état de siège. C'est dans ce contexte que les secteurs les plus pauvres se sont retrouvés dans la rue en compagnie de la “glorieuse classe moyenne, pilier du pays”.

Il y a eu le refus salutaire de la présence des drapeaux, des opportunistes de toujours et des organisations politiques. Le slogan “que se vayan todos” [qu'ils se barrent tous !], s'adressait aussi à eux. Puis sont venues les forces de l'ordre, la résistance, les morts, le déchaînement de violence et de rage, la destruction des bâtiments publics et privés, depuis El Banco Nacion jusqu'au Credicoop du Parti Communiste.

Les pillages et toute la vie qui va avec, voilà entre autres choses ce que nous retenons de ces journées de beau et de courageux, de sain et de dangereux.

Mais il y a aussi eu le drapeau et l'hymne national, et nous ne pouvons oublier cette composante nationaliste, alimentée aussi bien par la gauche que par la droite, bien que la gauche tente encore de préciser la différence de “son“ nationalisme.

Et la suite …

On peut leur reconnaître une certaine cohérence. Rappelons-nous le rôle honteux qu'ont joué les partis, à quelques exceptions individuelles près, au cours des émeutes de décembre 2001. Ils sont restés en retrait des affrontements, se tenant soigneusement à l'écart de ceux qu'ils appelaient les “infiltrés”. Puis, ils ont appliqué leur stratégie militaro-policière aux mouvements sociaux
—groupes de chômeurs ou assemblées— sur lesquels ils ont fait main basse, avec leurs responsables et leurs cordons de “sécurité”, leurs lances et leurs bâtons. Comme toujours, discipline et obéissance sont à l'ordre du jour. Pourtant, on est encore surpris de voir le “flic piquetero” marcher main dans la main avec d'Elia (dirigeant de la FTV), Alderete (des CCC) et compagnie. Ce sont ces mêmes dirigeants du Bloc piquetero qui, lors des occupations de banques et de mairies, accusèrent des militants de la Coordination Anibal Veron d’être des flics. Lorsque les échos de décembre grondent à nouveau au cours d'une mobilisation et que les médias du pouvoir relaient le message de la SIDE1 (“Il faut isoler les foyers de violence sociale pour mieux les réprimer”), la gauche reprend plus ou moins ouvertement ce même discours afin de rallier la classe moyenne organisée en assemblées.
Pour comprendre à quel point ces pratiques conviennent à cette dernière, il suffit de se souvenir des votes d'exclusion qui ont suivi l'agression d'un journaliste de Radio 102 qui assistait à l'assemblée interquartiers, et comment ils ont ensuite dénoncé l’ “agresseur” à la presse internationale présente sur place (des bourgeois…). Revoyons-les aussi défiler entourés de cordes, construisant eux-mêmes leur petit enclos3, enlevant les pierres sur leur passage afin que personne n'ait l'idée de...

Certes, ils ne sont pas tous pareils, mais nous parlons ici de positions et d'attitudes que les partis et certains groupes tentent d'imposer comme dynamiques au sein des mouvements sociaux.

Le travail qu'ils ont effectué dans les assemblées mérite un chapitre à part. Ces espaces retiennent notre attention dans la mesure où s'y sont développées des pratiques intéressantes. Cependant, malgré une certaine hétérogénité, les assemblées correspondent en général à la “crise de représentativité” que traverse la classe moyenne. Cette crise intervient au moment où le niveau d'accumulation capitaliste atteint par la haute bourgeoisie provoque le naufrage de cette petite bourgeoisie qui est en train de se radicaliser.

Au-delà de toutes les contradictions, la gauche continue à jouer son rôle néfaste et on ne peut ignorer les conséquences de son intervention. La disparition de l'assemblée interquartiers du parc Centenario n'en est qu'un exemple parmi d'autres : rassemblant à ses débuts plus de 3000 personnes sans bannières, elle est brusquement passée à 20 militants (en comptant les vendeurs de choripan4) entourés par plus de 200 drapeaux et banderoles. Comme nous l'avons précisé à un militant du PO, les partis d'extrême gauche se sont comportés là d'une manière tout à fait claire : leurs interventions interminables et leurs bagarres pour accaparer le micro, la manipulation des votes passant par la reformulation incessante des propositions jusqu'à ce qu'elles soient adoptées ont fait honte aux autres participantEs, et finalement provoqué le refus de différentes assemblées de prendre part à un tel cirque. L'assemblée se réduit aujourd'hui à une commission quelconque, surgie de nulle part, composée presque uniquement de militants et axée sur les discours et les votes… une farce.

Pour un autre 20 décembre

La répression continue. Tous les jours, ils matraquent des chômeurs ou des membres d'assemblées. Pendant ce temps, le 19 décembre 2002, j'arrive Place du Congrès, le bus 37 est dévié de sa route et je descends. Sept “assembléistes” bloquent l'avenue Callao, une casserole et un drapeau argentin à la main.

Place de Mai, des artistes sont sur scène, il y a de la danse et des boissons… C'est organisé par la CTA et les CCC, les assemblées, Barrios de Pie etc … C'est pathétique.

Le 20, policiers et piqueteros se sont réparti les mesures de sécurité. Ils marchent encerclés par des cordes et des bâtons ou en se tenant par la main comme à l'école…
A 18 heures, on joue le petit air “et que vienne l'explosion”.

Sans parler des discours…

Vers la fin, dans un dernier sursaut, une poignée de compagnons tente d'affronter la police qui protège le Palais gouvernemental, l'institution, l'ordre et la misère de l'autre coté des barrières. Ce sont les mêmes flics qui hier encore nous canardaient dans le centre, les mêmes qui nous assassinaient et continuent à nous tuer. Et les dirigeants et partis qui en décembre 2001 attendaient à l'abri prétendent aujourd'hui tirer profit de ce qui a été fait et se gargarisent des morts… bande de lâches.

“Les incidents n'ont duré que quelques minutes car les piqueteros du service d'ordre (non pas la police) ont protégé les barrières et empêché ce groupe —à peine une poignée de jeunes— de faire dégénérer une protestation sociale impeccable et pacifique” (Clarin, le 21-12-2002).

A la question que lui posait un journaliste de télé Cronica : “ils étaient masqués, pensez-vous qu'il pouvait s'agir de policiers ?”, un militant du PO a répondu que c'était
fort probable.

Les imbéciles les accusent d'avoir été masqués… comme si nous ne savions pas que c'est en démocratie que se font les listes noires.

Le commissaire, pour sa part, peut être content.

Juan
Libertad n°25, mai-juin 2003

1. SIDE : police politique.
2.Radio 10 appartient au clone du fascisme Daniel Haddad.
3.Jeu de mots sur le terme corralito qui désigne à la fois un petit enclos et la mesure de Cavallo qui consistait à limiter les retraits en liquide des épargnants.
4.Equivalent de nos vendeurs de merguez dans les manifs.