" Recueil de textes argentins (2001-2003)"
éd. Mutines Séditions, 48 p., novembre 2003


Le progrès, opium des peuples


Le capitalisme se dirige inexorablement vers une structure de travaux improductifs et de concentration économique. La réponse ouvrière qui consista autrefois à lutter pour les 8 heures, ne sert aujourd'hui plus à rien, dans la mesure où pour mettre un terme à l'immense chômage, il faudrait travailler 4 à 6 heures par jour. Malheureusement la majorité des travailleurs, endormis par les prêches des progressistes, n'arrivent pas à comprendre que les acquis sociaux se défendent par la lutte, et pas par une loi assurant à l'ouvrier d'aujourd'hui “une réduction du temps de travail”. D'ailleurs, si la loi nous l' “accordait”, ce serait pour nous le retirer aussitôt, en augmentant l'âge de la retraite par exemple… La loi dépend de qui la fait, c'est à dire des politiciens, de gauche ou de droite. Toute révolte meurt dès qu'elle entre et s'embrouille dans le jeu de l'économie. La croissance économique (contrairement à ce que prétendent les “libre-échangistes”) ne change en rien notre situation de travailleurs, pas plus que le capitalisme national que prônent la gauche et les progressistes en général ne permet la dignité, il ne génère que l'esclavage.

L'Etat a toujours servi de carapace à la bourgeoisie intellectuelle qui, sous couvert de “libéralisme de droite” ou de “progressisme de gauche”, c'est à dire par la fable politique et étatique, poursuit sa formidable avancée vers la reconquête du système féodal.

La droite, avec sa complice la CGT, veut créer l'ALCA (aire de libre échange des Amériques) qui serait un élargissement du TLCAN —traité de libre échange d'Amérique du Nord— regroupant le Mexique, le Canada et les Etats-Unis. L'ALCA imposerait donc aux peuples de ces pays, avec la “démocratie” ou la dictature, la même destruction environnementale, sociale et du travail. Les arguments de ses défenseurs sont plus ou moins les suivants : 1) l'ALCA nous permettra de pénétrer d'immenses marchés comme celui des Etats-Unis. 2) Nous recevrons des investissements de l'étranger qui nous assurerons compétitivité et stabilité économique.

Ces messieurs omettent de mentionner le protectionnisme des Etats-Unis. Les prétendus investissements permettront en réalité à ces derniers de s'emparer des matières premières (la plupart des champs appartiennent déjà aux banques étrangères et tous les paysans seront bientôt obligés d'utiliser des semences transgéniques, qu'ils devront racheter tous les ans) et de produire à des coûts extrêmement bas (avec des contrats de travail comme en Asie, où l'on reste enfermé à travailler 15 heures par jour pour 50 dollars mensuels, sans compter la cruauté de la répression). Enfin, ces mesures ne feront qu'accroître la destruction de l'environnement (pollution, décharges toxiques etc….), l'insalubrité et les maladies contagieuses. Quant à l'industrialisation, elle se résumera en fait à l'implantation d'usines d'assemblage. On détruira les postes de main d'œuvre qualifiée sans pour autant réduire le chômage et la pauvreté. Il ne nous restera pour seul droit celui de ne pas mourir de faim.

La gauche-CTA propose en contrepoint la redistribution de la richesse qui, selon ses mots d'ordre, passe par la “libération nationale”, la “production nationale” et la “création d'une assemblée nationale constituante”. Pour ce qui est du contrôle ouvrier des usines occupées, une partie propose le “coopératisme”, tandis qu'une autre souhaite l' “étatisation”.

Pour nous, cette “redistribution de la richesse” n'est qu'une manœuvre politique visant à maintenir en place les capitalistes nationaux. De toutes manières, l'industrialisation nécessite des investissements, il faudra donc ouvrir les frontières et exporter des matières premières en quantités toujours plus massives pour obtenir ces devises (entre autres les dollars). Pour exporter, il faut être compétitif, et cela signifie qu'on continuera à presser les exploitéEs comme des citrons, à moins que tout le monde ne se mette à n'acheter que des produits nationaux. Nous assistons à une tentative de restauration de l'oligarchie criolle1 qui se constitua en 1810 et nous opprimera une fois de plus au nom de la “patrie”, comme si ce “bâton” nous faisait moins mal ! ! !

Ce que les politiciens nomment “contrôle ouvrier” devrait en réalité s'appeler contrôle graduel des ouvriers. Les promoteurs du “coopératisme”, pour renforcer les secteurs industriels productifs lorsque les entrepreneurs ont quitté le navire, incitent les travailleurs des entreprises en faillite à se transformer en patrons capitalistes, c'est à dire à exploiter à leur tour d'autres travailleurs. Tout ceci sert le capitalisme. Ceux qui réclament “l'étatisation” cherchent à tromper les travailleurs en leur faisant croire qu'ils sont l'Etat, alors qu'en réalité l'Etat c'est ceux qui le dirigent, puisqu'il s'agit d'une structure hiérarchique. Ces gens de gauche répugnent à nous voir capables de construire une société sans exploitation. Ils veulent diriger les masses de manière dictatoriale et nous parlent “d'assemblées de travailleurs” uniquement pour nous mettre au pas, car s'ils prennent le pouvoir, ils imposeront une multitude de hiérarchies techniques, politiques, centralistes et bureaucratiques. Privilèges et oppression en sortiront renforcés et le tout se soldera probablement par la répression sanguinaire du peuple. La classe dominante sera désormais constituée des hauts fonctionnaires de l'Etat “ouvrier”. L'idéologie de la gauche se résume à vouloir créer un capitalisme industriel sous influence du même Etat qui exploite et réprime le peuple (sur le modèle de l'Union soviétique).

Il est déjà trop tard pour espérer récréer “l'Etat providence”, car l'industrialisme de masse a été remplacé par l'industrialisme “robotique” qui a généré de grands excédents de travailleurs et par-là même le chômage. “L'Etat providence” a existé tant que l'Etat a eu besoin d'une image de “père tranquille” afin de maintenir le calme chez les travailleurs. Aujourd'hui, la technologie et les nouveaux systèmes de production permettent au pouvoir de montrer son vrai visage. A présent qu'il a besoin de moins en moins de main d'œuvre, il ne se soucie plus ni des écoles, ni des hôpitaux et se consacre entièrement à ce qui a toujours été son activité essentielle : assassiner le peuple.

(à suivre)

Lissandro
Organizacion obrera n°2, novembre-décembre 2002

1.Criollo/a désigne les membres de la bourgeoisie espagnole nés sur le sol argentin.