" Recueil de textes argentins (2001-2003)"
éd. Mutines Séditions, 48 p., novembre 2003


Quelques luttes en Patagonie...


Cette région qui s'étend sur tout le Sud de l'Argentine jusqu'à la Terre de Feu est connue pour ses richesses maritimes et forestières et ses magnifiques paysages. Mais ces immenses étendues de steppe sont soit aux mains des grands propriétaires fonciers qui pratiquent notamment l'élevage d'ovins, soit dans celles de l’armée argentine qui les utilise pour ses basses manœuvres. L'essor du tourisme “aventure” participe également à la dégradation de cet environnement.

Par ailleurs, la côte Atlantique a été ravagée par l'industrie pétrolière (les puits de pétrole ont poussé comme des champignons sur de larges espaces avec les “villes” pour y loger les travailleurs), et les montagnes de la Cordillère des Andes (qui sépare l'Argentine du Chili) ont été dévastées par l'exploitation systématique de la forêt et le pillage des ressources minières.

L’un des derniers projets en date est l'installation d'une mine à ciel ouvert juste à côté de la ville d'Esquel, dans la province de Chubut. Cette ville d'environ 28 000 habitants vit essentiellement de l'agriculture et du tourisme (si l'on excepte le grand nombre de fonctionnaires d'Etat) et se trouve à quelques 45 km du parc national Los Alerces, zone de lacs glaciaires et immense réserve naturelle.

Il y a près de trois ans, la compagnie minière argentine El Desquito a procédé à des forages-test. Rachetée par la multinationale canadienne Meridian Gold, elle a officiellement publié mi-2002 son projet d'exploitation du cordon d'Esquel. La première étape devait consister à perforer plus de 40 000 mètres de montagne (10 à 15 ans sont prévus pour la vider de son contenu) à 6 km de la ville, afin d'exploiter un gisement d'or et d'argent, premier d'une liste de 18 déjà répertoriés par la compagnie.

Face à la rétention d'informations des autorités, les habitants ont dans un premier temps cherché à comprendre la nature et les implications de ce projet pour ensuite découvrir que l'exploitation serait à la fois souterraine et à ciel ouvert, et que le procédé utilisé serait celui de lixiviation (utilisation de cyanure). Cette méthode comporte de nombreux risques de pollution de la terre et de l'eau, non seulement à cause des fuites toxiques de cyanure mais aussi de par le drainage et les infiltrations de métaux lourds comme le plomb, l'arsenic et le cadmium. Le principal fournisseur en eau de la ville a d'ailleurs déclaré qu'il ne pourrait plus garantir l'approvisionnement dans de telles conditions.

Dès octobre 2002, de nombreuSEs habitantEs d'Esquel se sont réuniEs en assemblées de Vecinos Autoconvocados —littéralement “voisins autoconvoqués”— et la deuxième assemblée s'est prononcée à l'unanimité des près de 600 personnes présentes contre la mine. Dès lors, ils/elles ont organisé une campagne contre le projet qui a pris diverses formes : tables de presse et d'information dans la rue, débats organisés dans différentes villes de la région, festivals artistiques, mais aussi de nombreux escrache1, des manifestations rassemblant des milliers de personnes et des tags dans toute la ville. Face à la multiplication des actions, dirigeants de la mine et politiques ont troqué la carotte de la création d'emplois et du développement économique contre le bâton de la répression. Des opposantEs ont reçu des menaces téléphoniques ou plus directes, d'autres ont fait l'objet de filatures ou d'effractions domiciliaires, une personne s'est fait renverser par un véhicule, une autre a été tabassée. Des enquêtes ont également été lancées et, au cours des dernières manifestations, se sont produits des affrontements avec les milices de l'UOCRA2.

Néanmoins, l'assemblée vécinale a obtenu ce qu'elle réclamait, à savoir l'organisation d'un référendum local sur la question de la mine. La consultation s’est déroulée le 3 mars 2003 et le NON l’a emporté à 81 % (avec un taux de participation de 70%), bien que les hommes de main aient comme d'habitude acheté les votes (de 100 à 300 francs, mais on peut empocher les tunes et quand même voter non). En juin 2003, fut annoncée une décision judiciaire d'arrêt total des travaux. Cette victoire n'est pourtant pas définitive, d'une part parce que la compagnie va certainement utiliser tous les recours possibles pour faire appel de cette décision, d'autre part car elle a d'ores et déjà bien d'autres projets dans son sac (de nouveaux sites sont prévus sur la même ligne de cordillère, vers Cholila, El Hoyo, el Maiten…).

Enfin, le caractère hétéroclite de l'opposition à la mine, qui mêle à la fois des intérêts touristiques et commerciaux, des arguments environnementaux mais aussi nationalistes, laisse la voie ouverte à l'installation d'une mine sous certaines conditions (sous le contrôle de l'Etat, employant des travailleurs locaux, juste un peu plus loin, moins nuisible ou moins visible). Par ailleurs, si les actions ont été menées par différents groupes (des personnes masquées se définissant comme appartenant au Movimiento Anarquista de la Comarca Andina3 ont par exemple bloqué la route 40, axe principal qui traverse la région, en y brûlant des pneus pendant plusieurs heures), l'assemblée a souvent posé comme principe le respect de la légalité et ce légalisme a pu donner lieu à des aberrations telles que l'appel lancé aux autorités pour assurer la sécurité des “militants”.

1.Cette pratique consistait au départ à dénoncer publiquement, voire à malmener de diverses manières les bourreaux et collaborateurs de la dictature argentine, dont ils signalaient aussi les domiciles. Elle s'est appliquée dans ce cas à la fois directement aux dirigeants et personnels de la compagnie minière (dont l'ingénieur principal qui s'est fait copieusement insulter) ainsi qu'aux entrepreneurs (comme les dirigeants de la chambre de commerce), médias (lancers d'œufs contre les fenêtres) et politiciens locaux (comme le gouverneur Lizurume de l'Alliance ou l'intendant Williams du Parti Justicialiste) qui soutenaient le projet d'installation de la mine.
2.Union des Ouvriers de la Construction de la Region Argentine, affiliée à la CGT (péroniste).
3.Le mouvement anarchiste de la Comarca Andina.