" Recueil de textes argentins (2001-2003)"
éd. Mutines Séditions, 48 p., novembre 2003


Mensonge…


El Indio Solari a écrit dans une de ses chansons “la violence est un mensonge” et, bien qu'il ne soit qu'un marchand de musique, on peut reconnaître qu'il avait raison sur ce point. Pour parler de violence, il reste indispensable d'évoquer non seulement celle qu'a vécue notre société à la fin de l'année dernière et les mois qui ont suivi, mais aussi celle qui perdure aujourd'hui.

La violence la plus féroce que l'homme ait jamais produite s'incarne dans l'Etat. Ce supposé “ordre naturel” n'est en fait qu'une conjonction de coercitions et de forces, un immense mensonge.

Etat et gouvernement vont tous deux à l'encontre de l'idéal anarchiste. L'Etat nécessite quelqu'un qui commande, et il va de soi que tout gouvernant sera un tyran, quelle que soit sa “bonne volonté” personnelle. C'est pourquoi un anarchiste ne sera jamais d'accord avec quiconque souhaite s'organiser dans le cadre d'un Etat, quelle que soit la forme qu'il veuille lui donner.

Mais ne nous perdons pas en digression. Lorsque beaucoup qualifient d'acte violent le fait de casser ou d'endommager des biens, d'attaquer physiquement ou verbalement des personnes, ils omettent volontairement une forme de violence bien plus brutale. Cette violence porte le nom de mensonge .

A quoi suis-je en train de faire allusion ? Au mensonge qui consiste à dire qu'il faut travailler pour vivre et que si tu ne consacres pas la majeure partie de ton temps et de ton existence au travail, c'est que tu n'es qu'un parasite qui mérite la disgrâce et de mourir de faim. Je pense aussi au mensonge qui voudrait nous faire accroire que nous avons besoin que quelqu'un commande pour nous organiser, et selon lequel l'Etat et ses forces répressives seraient nécessaires. Autres grands mensonges : les gouvernements travailleraient pour celles et ceux qu'ils représentent, exprimant leurs opinions et leurs désirs ; l'école et les institutions éducatives aspireraient à former des individuEs libres et cultivés (on en oublierait presque que ce sont des entreprises de formation mercantiles qui fournissent la chair aux usines). Dernière grande illusion : la liberté de consommer ce que l'on veut, elle aussi paramétrée par le capitalisme.

Ainsi des milliers d'autres mensonges se répandent encore, à propos des partis, de l'écologie, de la sécurité sociale, de l'emploi, de la médecine marchande. Tous ces mensonges relèvent d’une pure violence, mais dissimulée.

Pourquoi pense-t-on uniquement, lorsqu’on parle de violence, au fait de casser ou d'insulter et non à celle qu'exerce l'Etat de manière quotidienne, que ses affaires aillent bien ou mal ? La coercition n'est-elle pas violence ? Eh bien, l'Etat est par essence coercitif. Il te faudra finir par entrer dans le rang de gré ou de force. Si tu ne l'acceptes pas, tu signes ton arrêt de mort.

La violence, c'est l'enfermement, la condamnation, les limites arbitraires que d'autres imposent à ton être. Cette société répressive est violente et violentes sont aussi nos envies de tout détruire, pour construire des liens et des formes différentes. C'est aussi faire violence que refuser la violence qui accompagne les désirs sauvages de se libérer et sert la libération. Violent est le statu quo de cette paix sociale.

Ce n'est pas “mal” que de tout dévaster dans un accès de rage quand, jour après jour, ils dévastent ton existence. Ce n'est pas “mal” que de détruire pour construire quelque chose de nouveau. Ce n'est pas “mal” d'être complètement écœuré et de le manifester en cassant tout ce qui nous entoure. Ce n'est pas “mal” ; au contraire, c'est tout ce qu'il y a de plus normal et de naturel. Mais tout ceci est passé sous silence, à tel point que cela en devient de l'hypocrisie, une nouvelle violence.

(a)
Libertad n°23, mai-juin 2002