" Recueil de textes argentins (2001-2003)"
éd. Mutines Séditions, 48 p., novembre 2003


Le maton et les agonies


Ses sens et ses nerfs se tendent. Sa réaction dépasse la raison. Il serre les dents et les poings. Dans ses yeux brillants de haine et jusqu'au bout de ses ongles, on entend monter ce cri plein de colère : “Basta !”. En l'espace d'une seconde, la violence latente se fait colossale. Dans une énorme explosion, le poing vient s'écraser sur la face moqueuse et arrogante du maton imposant. C'est le début de la fin. La joue s'est lassée des gifles et a fini par se rebeller contre le poing oppresseur. Cette action directe a déchaîné les énergies étouffées depuis longtemps. La violence a répondu à la violence. “Ce n'est pas celui qui se défend qui est violent, mais celui qui l'oblige à se défendre. L'assassin est celui qui place les autres face au terrible choix de tuer ou de mourir”.

La réponse de “la loi et de la justice” ne se fait pas attendre, les bourreaux sont toujours prêts à réprimer. Le rebelle est traîné par les cheveux et ceux-ci s'arrachent les uns après les autres sous le poids de son corps. Le couloir semble interminable et la brutalité des coups de pieds annonce la tourmente qui va déferler sur lui. Ils vont lui faire payer l'insolence commise, les intérêts en prime. La cellule obscure et humide dans laquelle on l'emmène incarne toutes les agonies passées. Ce sont ses victimes qui ont gravé leur nom sur ses murs et les voilà maintenant qui l'observent comme d'uniques témoins silencieux. Sous l'effet de l'impuissance et du désespoir, les menottes serrent et font saigner les poignets. Cet instrument de torture a précisément été conçu pour pénétrer dans la chair face à tout type de résistance. Redoublant d'énergie, les cinq représentants de l'autorité commencent à appliquer leur “vaillante justice”. Ces infatigables pompiers tentent d'éteindre l'incendie, faisant pleuvoir sans aucune pitié les coups sur le corps épuisé, chancelant et sans défense, de leur victime. Presque inerte, il tombe dans sa flaque de sang. Jusqu'à ce qu'il pousse l'ultime soupir, des coups, résonnant à ses oreilles comme le tonnerre, continuent à s'abattre sur lui. Enfin, privé de force et de raison, il finit par sombrer dans l'inconscience, et vient le silence…

C'est le prix à payer quand on est en prison : en une seconde on perd la liberté, et passent les heures, les jours, les années…

Les châtiments physiques et psychologiques viennent se graver dans la mémoire du corps. On retient sa respiration et on s'éloigne chaque jour davantage de la lumière, jusqu'à s'éteindre définitivement. C'est l'agonie, l'incarcération, c'est la mort dans la vie. De mélancoliques envies de suicide qu'alimente la tristesse, tant de solitude entre ces murs, sans liberté, sans amour et sans vie. Tout est en train de sombrer mais le cœur, lui, s'affirme et résiste.

Les voix qui irradient d'autorité viennent augmenter la peine, la peine et les tortures, mais aucune trace de culpabilité ne s'y ajoutera jamais.

Dans le tombeau obscur et froid que l'on nomme cellule, un rayon de soleil passe par la minuscule fenêtre, dessinant sur le sol une ombre en forme de grilles. Au-delà, il y a l'extérieur et la macabre réalité, pas si différente de celle que l'on subit en prison.

Dehors, l'essaim humain se promène, marche à pas redoublé ou au pas de course. On dirait des fourmis terrorisées et routinières qui se trouvent toujours du côté du silence complice. Lorsqu'il leur arrive de parler, leurs commentaires révèlent leurs pensées profondes : “le système pénitentiaire sert à sanctionner les criminels qui osent passer outre les lois de notre société. Il faudrait davantage de lois encore, des lois encore plus strictes et des peines encore plus lourdes contre les inadaptés”. Ces ignorants prétendent que la prison a pour fonction de faire justice et cela n'a rien d'étonnant, puisqu'ils n'ont aucune idée de la signification du mot “justice”. Mais chaque jour, certains se rebellent contre ceux qui génèrent ces agonies et prônent la mort carcérale.

Les pleurs des enfants résonnent dans les moindres recoins du monde. C'est le règne du désespoir, de la panique et de l'abjection que provoque cette vie de terreur. J'ose à peine imaginer le funeste chemin, jonché de déserts et de tombes, sur lequel s'engage l'humanité. Les cœurs pleins du désir de liberté et d'égalité se désolent de cette vile réalité.

De l'autre côté des barreaux, les clefs dans les mains, le maton, le bourreau, l'exécuteur de “la loi et la justice” et le symbole de l'autorité observe en souriant…

Mais le cœur s'affirme, résiste et toujours se rebelle.

Vilchesz
Libertad n°22,
décembre 2001-janvier 2002