" Recueil de textes argentins (2001-2003)"
éd. Mutines Séditions, 48 p., novembre 2003

Communiqué d’une communauté Mapuche d’Esquel

Lors de la conquête de l’Argentine,les Espagnols se sont heurtés à la résistance acharnée de ceux qu'on appelle aujourd’hui les “pueblos originarios” (peuples originaires). Dès le 16e siècle, les installations espagnoles ont été systématiquement attaquées, y compris la ville de Buenos Aires totalement incendiée immédiatement après sa fondation en 1536, et finalement reconstruite en 1580. Au 17e siècle, il faudra 10 ans aux conquistadores pour vaincre la révolte des Draguitas dans les vallées sub-andines, puis reprendre le contrôle des vallées calchaquis. Et au 18e siècle, ce sont les Guaranis qu’il leur faudra mater, tandis que les Jésuites se feront expulser du Rio de la Plata. Finalement, les Indiens du Nord qui n’auront pas été exterminés dans ces guerres seront réduits en esclavage et tués à la tâche dans les mines. En Terre de Feu, les Indiens Onas et Yamanas seront quant à eux décimés en quelques années par les maladies et le mode de vie imposé par les missionnaires (sédentarisation, travail forcé…).

Les Tehuelche auxquels se sont mêlés les Mapuche ont bénéficié un certain temps de la rigueur du climat et des contrées patagones peu propices à l'installation de colons. Cependant, au cours du 19e siècle, le gouvernement argentin s’est lancé dans une politique de peuplement destinée à pacifier le sud du pays. Les grands éleveurs ont aussi compris tout le profit qu'ils pouvaient tirer de ces immenses étendues et s'en sont progressivement emparé avec le soutien de l'armée. Après une guerre de guérilla longue de plusieurs années, en 1866 un terme a été mis à la résistance de ces tribus mobiles par la campagne dite “conquête du désert”, charmant euphémisme pour une véritable guerre d’extermination
Depuis, les Mapuche qui restent (beaucoup moins nombreux qu'au Chili) et ne sont pas venus grossir les rangs du sous-prolétariat urbain, mènent une lutte pour rester sur les terres patagones. La plupart du temps ils/elles se sont installées en “communautés” et occupent des “terres fiscales” appartenant à l'Etat. Cependant celui-ci dispose à sa guise de ces terrains et peut les en expulser quand il le veut, par exemple lorsqu'il décide de les vendre à des entreprises ou propriétaires privés. Les expulsions procèdent de décisions de justice et sont exécutées par la gendarmerie, quand elles n'ont pas déjà été effectuées par des milices privées. Les terrains sont alors à leur tour clôturés (ce qui est parfaitement antinomique avec la conception mapuche d'une terre inaliénable), les cultures ravagées et les habitations détruites. Les “familles” refusent généralement de partir ou tentent de réoccuper les terres d'où ils ont été chassés, mais les velléités de résistance sont souvent réduites par la répression. Contrairement au Chili, les réactions immédiates sont rarement collectives, les “communautés” étant beaucoup moins nombreuses et très atomisées. Par ailleurs se dessine une logique légaliste, consistant à demander à la Justice et à l'Etat de faire respecter les droits ancestraux reconnus nationalement et internationalement ainsi que des accords passés avec les autorités, voire réclamant à ces dernières des infrastructures particulières. Les revendications culturelles et identitaires du “peuple” mises en avant notamment par la coordination “officielle” mapuche n'empêche cependant pas les contacts de certaines communautés avec d'autres luttes de manière horizontale. Cela a été par exemple le cas à Esquel pour s'opposer à l'implantation de la mine et, dans la même région, pour lutter contre l'installation de Benetton sur un immense terrain d'environ un million d'hectares.

En même temps qu'elle installait dans son estancia le musée historique Lelèque, dont une large partie est consacrée à l' “art” et aux objets quotidiens “indiens”, la compagnie s'est bien entendu empressée de virer les quelques Mapuche qui se trouvaient sur ses terres. De multiples actions ont eu lieu contre cette expulsion.

Pour plus d'informations, contacter l'organisation de communautés Mapuche-Tehuelche du 11 octobre :
e-mail : puelmapu@terra.com.ar et tel : (02945) 45-1611, dont provient le communiqué suivant.

Esquel (Chubut),
le 14 février 2003

Nous affirmons une fois encore la lutte pour nos droits ancestraux et contre l'usurpation du Wallmapuche (territoire ancestral).

Les 8 et 9 février dernier, nous avons réalisé un nouvel acte de solidarité avec la famille Curiñanco expulsée en octobre 2002 du terrain de Santa Rosa à la demande de l'entreprise Benetton. Dès les premières heures de la matinée du samedi 8, nous nous sommes rassemblés à environ 150 frères Mapuche et compagnons non mapuche (pu peñi ka pu lamgien) venant de différents endroits du Puelmapuche devant l'accès à l'estancia Leleque de la compagnie italienne. Là, nous avons monté notre campement et nous avons commencé à informer ceux qui circulaient sur la route nationale 40 de la politique d'usurpation que mène ce groupe européen et de l'appui qu'il reçoit de l'Etat.

Le soir, nous avons transféré le camp à Santa Rosa, à côté des barbelés, où nous avons passé la nuit. Des personnels de la police provinciale ont alors installé des projecteurs, éblouissant notre campement et cherchant clairement à nous intimider. Cela n'a fait qu'augmenter notre indignation face à ces sbires.

A l'aube, nous avons coupé la Route 40 afin d'assurer la sécurité de celles et ceux qui participaient au ngellipun [cérémonie ancestrale de spiritualité] sur le bord du chemin, puisqu'on nous interdisait l'accès à Santa Rosa. Malgré le déploiement de la gendarmerie nationale, le barrage a été maintenu sans que les uniformes nous expulsent (contrairement aux informations qu'a données le journal El Chubut). La cérémonie terminée, nous avons continué notre trawunche [parlement, dans le sens d’assemblée] jusqu'à midi.

Toutes les activités se sont déroulées dans une ambiance d'assemblée permanente qui a contribué à renforcer la lutte des communautés et organisations Mapuche du Puelmapuche présentes et à affirmer les liens solidaires avec la société non-Mapuche.

Durant ces deux jours, nous avons assisté à un grand déploiement d'effectifs de police de la Province de Chubut et de la Gendarmerie Nationale, tandis que des personnels en civil filmaient et nous photographiaient à partir de véhicules personnels. L'estancia Leleque a été la base des opérations de ces forces d'occupation de notre Wallmapuche. Une fois de plus, cela a mis en évidence la soumission de l'Etat au pouvoir économique, les “forces de sécurité” faisant office de gardes privés à la solde de la compagnie Benetton.

Nous tenons à souligner que dans cette action, le peuple Mapuche a pu compter sur la solidarité de compagnons non-Mapuche venus de différents endroits du Nord Ouest de Chubut, et particulièrement de l'assemblée de voisins autoconvoqués d'Esquel, avec lesquels nous menons la lutte contre la compagnie minière canadienne Meridian Gold Inc.

Cette lutte pour la réaffirmation de nos droits et contre l'usurpation et la dévastation du Wallmapuche croît de jour en jour, ceux qui détiennent le pouvoir économique et politique le savent. C'est pourquoi, sur le chemin du retour, la gendarmerie nationale et la police de la Province de Chubut ont monté un barrage afin de contrôler l'accès à la ville d'Esquel et d'identifier chacun d'entre nous. C'est aussi pour cette raison que notre frère Martiniano Jones Huala, de la communauté Pulan Mahuiza, a reçu des menaces de la part de l'entrepreneur en bâtiment Pedro Peña lors d'une action “contre le saccage de la Patagonie”. Ces derniers jours, les compagnons Lucas Fossatti et Leonardo Ferro, faisant partie des voisins autoconvoqués d'Esquel ont également été menacés pour leur implication contre le projet minier.

Chaque jour s'allonge la liste des basses manœuvres dont font l'objet les voisins d'Esquel. Face à cette vague croissante d'intimidations, nous réaffirmons notre engagement dans la lutte pour la liberté de notre peuple Mapuche et nous rendons l'Etat responsable des menaces et attaques à l'encontre de nos frères et sœurs mapuche ou non.

“La résistance des peuples opprimés est la limite des tyrans”
“Pour la justice, la terre et la liberté”

Marici Weu, marici weu ! ! !
(Pour chaque personne qui tombe, dix autres se lèvent)