" Recueil de textes argentins (2001-2003)"
éd. Mutines Séditions, 48 p., novembre 2003


Ni libre échange, ni régulation étatique


Soudain une discussion aussi vieille que le capitalisme a resurgi. Elle est cette fois revenue sur le devant de la scène avec le traité de libre échange de l'ALCA1, rédigé en cachette et rendu public après que tout ait été bien manigancé.

La discussion à laquelle je fais allusion oppose l'option du libre échange à celle du protectionnisme. Or, il s'agit bel et bien d'une fausse alternative puisque ce ne sont que deux variantes d'un seul et même principe, incarné à la fois dans la propriété et dans l'Etat.

Le libre échange se fonde sur une règle d'or : les possédants édictent les règles. Nous le constatons tous les jours, par exemple lorsqu'une entreprise ferme ses usines dans notre pays pour se délocaliser au Brésil ou au Mexique, où salaires et impôts sont, exprimés en dollars, notablement inférieurs. C'est une manière pour les entreprises de produire autant, mais à bien moindre coût, et d'augmenter considérablement leurs gains en ne payant pas de droit d'importation.

Contre cette politique de libre échange, la gauche, les populistes et les nationalistes de tous poils brandissent la bannière du protectionnisme. Ils réclament une forte intervention de l'Etat dans l'économie par la nationalisation des services publics, l'imposition de barrières douanières à l'importation des produits manufacturés, des aides à la création d'industries de base (comme la métallurgie) ou au développement technologique. Le modèle protectionniste peut se présenter sous deux formes : la gauche marxiste revendique que les moyens de production appartiennent à l'Etat, c'est le capitalisme d'Etat sur le modèle de feue l’Union soviétique, alors que les socialistes, les populistes et nationalistes défendent un modèle d'économie mixte connu sous le nom d’ “Etat providence”. Ce modèle s'est implanté en Europe après la seconde guerre mondiale et a perduré jusqu'à la fin des années 70, où il a commencé à perdre du terrain sous les assauts répétés de la doctrine néolibérale 2.

Bien qu'ils semblent être contradictoires et s'opposer, le libre échange et le protectionnisme relèvent de la même essence, puisque tous deux se fondent sur les principes de la propriété et de l'action de l'Etat. Elle est cachée mais bien réelle dans le cas du libre échange, puisque l'Etat crée avec ses lois les conditions favorables à ce type d'économie : dérogations au code du travail, baisses d'impôts sur les importations, etc. Quant au protectionnisme, qui met en avant l'intervention de l'Etat dans l'économie, il ne remet pas pour autant en cause le principe de propriété. En témoigne l'exemple même de l'économie soviétique, puisque les moyens de production, qui formellement appartenaient à l'Etat, étaient en réalité aux mains de la mafia que formait la bureaucratie du PC, érigée en nouvelle classe de propriétaires de l'Etat et des moyens de production.

De mon point de vue anarchiste, le libre échange comme le protectionnisme constituent deux fausses options qui doivent absolument être rejetées, car elles signifient la même chose : le maintien de la propriété et de l'Etat. Et tant qu'existeront ces deux institutions, il y aura des exploiteurs et des exploités, quelle que soit la forme historique circonstancielle que prenne l'exploitation.
Ainsi le capitalisme peut-il adopter un système de production privé, étatique ou mixte. Il peut se développer à l'intérieur des frontières de l'Etat-nation, comme acquérir un caractère régional ou global. Il peut coexister avec des gouvernements de droite ou de gauche, démocratiques ou dictatoriaux, sous des régimes parlementaires, présidentiels ou monarchiques. Tout cela revient au même. Quelles que soient la forme qu'il adopte ou les institutions qui le soutiennent, nous devons l'abolir une fois pour toutes en tant que système social. De même doivent être liquidées toutes les institutions qui lui donnent une forme et un sens, y compris celles qui lui étaient antérieures mais se confondent aujourd’hui avec lui pour former un système intégral et global. En effet, ces institutions comme la propriété, la monnaie, les banques, le commerce, l'autorité, la loi, les armées, la religion ou l'Etat lui-même, apparues au cours du développement historique de l'humanité et antérieures à l'irruption du capitalisme en tant que système social, sont aujourd'hui complémentaires des institutions propres à ce système, telles que le gouvernement représentatif, le parlement, les partis politiques, la police, la prison ou l'Etat-nation.

La révolution sociale est l'unique manière pour nous, les exploitéEs et les oppriméEs, d'en finir avec ce système duquel nous n'avons rien à attendre. Et sur cette terre rase, une fois qu'il ne restera plus aucun vestige de propriété ni d'autorité, nous construirons, de nos propres forces, une société nouvelle reposant sur les principes du communisme anarchiste, où chacun apportera selon ses possibilités et recevra selon ses besoins, dans un cadre de libre association, horizontale et égalitaire.

 

El zorro negro
Libertad n°19, mai-juin 2001

 

1. L'ALCA est le nom espagnol de la ZLéA (Zone de Libre Echange des Amériques) que tentent de mettre en place les Etats-Unis afin d'étendre la zone de libre-échange de l'ALENA (Etats-Unis, Canada, Mexique) à l'ensemble de l'Amérique Latine.
2. Et parce le capitalisme pouvait à présent se passer de cette forme historique là pour une autre.