" Recueil de textes argentins (2001-2003)"
éd. Mutines Séditions, 48 p., novembre 2003


Guerre sociale


Notre mode de vie actuel n'est pas tenable. Les modes de consommation existants détruisent la nature qui nous donne la vie. Il est donc nécessaire que les gouvernements changent de politique et de gestion. Il n'y a pas aujourd'hui de modèle économique raisonnable qui prenne en compte la manière dont on nourrira et on transportera la population dans le futur, dont seront produits énergie, biens et services. Il n'existe aucun plan de gestion de la santé publique possible dans un système de développement durable”.

Telles sont les conclusions auxquelles sont parvenus les spécialistes de la santé environnementale qui dressent ce sombre tableau et se lamentent de ne pas voir exaucés leurs vœux de changement, sans pour autant sortir de la logique de ce système.

Les écologistes et les humanitaires ont servi à canaliser les révoltes en les axant sur des causes désespérées, hors de tout changement révolutionnaire global. Les Verts ont profité de ce filon pour émerger au cours du renouvellement des forces “progressistes”, tout en soutenant le statu quo, baleine de plus ou de moins.

Dans une Argentine où une partie de la classe moyenne se retrouve dans la situation historiquement réservée aux pauvres (qui représentent aujourd'hui plus de 14 millions de personnes), un sentiment de vide et de déroute prédomine. Les personnes qui, par leur vote et leurs casseroles aussi pleines que bien gardées, ont maintenu au pouvoir ceux-là mêmes qui produisent cette réalité, savent à présent que ni la démocratie ni la dictature ne mettront fin à ces maux. Seulement, l'idée même de tenter quelque chose hors de ce système les terrorise et les paralyse. C'est la raison pour laquelle ils misent sur le premier “cheval” qui leur promet la sécurité et leurs dollars. Aujourd'hui ils sont pour Caritas (que faut il avoir dans la tête pour soutenir une telle misère !), demain ce pourra être le tour de Seineldin1, et pourquoi pas de la gauche engagée ? Ce “sauve ton prochain” prôné avec tant de ferveur par l'Eglise, tout comme le “chacun pour soi” pratiqué depuis des siècles, permet à ce chaos organisé par les autorités et les religions de régner sous toutes les latitudes.

Les chiffres que donnent les agences gouvernementales (ou non) le confirment. Mais ce n'est pas une simple question quantitative, et les statistiques restent impuissantes à expliquer une manière d'agir. Qualitativement, il n'y a pas de solution possible à l'intérieur de ce système et nombreux sont ceux qui, dans les classes dominantes ou dominées, le savent et agissent en conséquence.

La guerre sociale se poursuit depuis des milliers d'années. L'anarchisme réitère sa proposition d'en finir avec ceux qui tirent profit de la pauvreté et de construire de nouvelles relations entre les individuEs, fondées sur la réciprocité, la solidarité et la recherche consentie du bien commun. L'unique possibilité de libération humaine et d'intégration écologique à l'environnement consiste à se montrer implacables vis à vis de ceux qui font des bénéfices sur le sacrifice et l'exploitation d'autres individus et de la “nature”.

 

Tous les indicateurs montrent que la situation empire dans le monde entier (avec ou sans corralito).

— Sur 6000 millions d'habitants sur terre, 900 millions de privilégiés utilisent 80% des ressources produites et produisent plus de 75% de la pollution totale.
— Le reste, soient 5100 millions de personnes, subsistent avec 20% des ressources en produisant 25% de la pollution mondiale.
— 1000 millions de personnes souffrent quotidiennement de la faim.
— 30 millions d'enfants meurent chaque année de faim, de malnutrition, de manque de soins ou du non-accès aux services de santé.
— 2000 millions de personnes manquent d'eau potable, ce qui provoque 25 000 morts par jour.

Chaque jour disparaissent à jamais entre 100 et 300 espèces animales ou végétales.
Chaque année disparaissent 25 000 millions de tonnes de sol fertile à cause de l'érosion et de la désertification, désastre provoqué par les pratiques agricoles intensives des multinationales.
Selon les estimations épidémiologiques, la diminution de la couche d'ozone, due aux émission de gaz aux Etats-Unis et en Europe, aura pour conséquence des millions de morts et de cancers de la peau ainsi que des changements climatiques qui engendreront à leur tour sécheresses et inondations.
100 millions de personnes vivent sous des niveaux insupportables de pollution.
100 millions de personnes n'ont pas de logement.
50 000 personnes meurent chaque jour de faim, de dénutrition ou de maladies afférentes.

La liste de ces atrocités s'allongerait encore si l'on prenait un à un chacun des paramètres économiques ou sociologiques, mais cette longue énumération a pour unique objectif d'approcher le désastre qu'est en train de vivre l'humanité. Les chiffres ne manquent donc pas pour se sentir le droit de détruire les institutions qui dirigent le monde et soutenir toute pratique qui réponde à la violence étatique.

Impossible de rester neutre, de ne pas prendre parti. Que l'on agisse ou pas, on intervient dans cette société mondiale moralement et politiquement dégradée. L'argent et la technologie sophistiquée qu'ils possèdent révèlent encore le degré de cynisme, d'hypocrisie et d'égoïsme de cette société. Les critères d'accumulation matérielle et spirituelle qu'ils utilisent reflètent la misère de leur pensée et l'inutilité de leur présence sur terre.

M.G.
La Protesta n°8218, février-mars 2002

1.Seineldin, colonel tortionnaire sous la dictature militaire, vient d’être amnistié par Kirchner, en même temps que Gorriagan, leader de la guerilla d’extrême-gauche.