" Recueil de textes argentins (2001-2003)"
éd. Mutines Séditions, 48 p., novembre 2003


Un exemple d'auto-organisation


Le premier mai dernier, nous avions décidé de partir de Cholila et El Bolson pour aller manifester à Bariloche. Avant d'arriver au centre ville, sur la route venant de El Bolson, et aux abords de la décharge municipale, nous avons été bloqués par un barrage routier. Une foule de personnes masquées était en train de malmener les militaires qui tentaient de signaliser la déviation. Au milieu de la fumée des pneus brûlés, des familles entières assuraient le barrage. Il n'y avait aucun drapeau de groupe politique mais ils/elles étaient très bien organiséEs et, soudain, nous avons eu la surprise de voir flotter un chiffon noir planté sur un bâton. Les piqueter@s ont paru très étonnéEs de nous voir nous approcher et nous solidariser. Nous leur avons expliqué d'où nous venions et que certains d'entre nous faisaient partie de la Société de Résistance d'Offices Variés [FORA] de Cholila et nous leur avons dit que nous apportions quelques vidéos, mais qu'il avait été jusqu'alors impossible de les projeter à Bariloche. Un des films portait sur la journée du 20 décembre et l'autre sur la construction du barrage d'Itoiz1. Les compagnons masqués ont discuté entre eux, et nous avons finalement décidé qu'après la manif nous irions voir les vidéos ensemble. Nous avons trouvé un magnétoscope et une télé dans l'école du quartier et nous avons fait la projection, les dix personnes qui venaient d'arriver et les habitants et enfants qui avaient passé la journée à manifester pour des logements, un travail “digne” et la liberté.

Ils nous ont raconté qu'il y a quatre ans déjà ils avaient commencé à s'organiser entre chômeurs et qu'ils coupaient la route par principe, pour les 8 heures de travail par jour, en mémoire des compagnons de Chicago et pour l'idée anarchiste de la liberté ouvrière. “Nous avons besoin d'une prise de conscience générale. Nous ne pouvons pas créer les choses seuls, il faut que tout le monde se pose des questions, le changement repose sur la participation de tous, les ouvriers doivent le savoir. Ici, dans le quartier, il y a beaucoup d'ignorance. Beaucoup pensent que “tant qu'il y a du boulot, tout va bien”. Mais quels fruits avons nous recueilli du travail des générations précédentes ? Notre chômage. Nous réclamons justice. Nous voulons construire nos maisons (et eux nous offrent des plans de logement), nous savons les construire et nous ne voulons pas les payer toute notre vie, nous voulons le matériel et nous allons les construire nous-mêmes. Dans nos pétitions, il est toujours question de logement digne et de travail digne”. C'est ce que nous raconte El Moika, l'un des compagnons.

“C'est comme ça qu'est né le M.A.L.O (mouvement anarchiste de libération ouvrière). L'ouvrier doit trouver son propre chemin de libération. Il doit se rendre compte qu'il travaille toujours pour un autre et qu'il ne profite jamais de tout ce qu'il fait. D'abord, nous avons occupé un hangar car nous savions qu'il était rempli de lait, de tôles, de couvertures entre autres choses qui attendaient la campagne électorale pour être distribuées au bon vouloir de quelque politicien qui joue avec la faim des gens. Nous y sommes allés à une soixantaine de personnes, dont beaucoup de femmes. Nous avons occupé le hangar et pris la marchandise. Nous avons aussi exigé des bons de 20 pesos. Comme il y avait beaucoup d'enfants, la juge pour mineurs est venue et nous lui avons exposé nos besoins. Nous lui avons dit qu'il était plus criminel de laisser les gamins crever de faim que de venir chercher quelque chose d'aussi indispensable que des aliments.

Après, les actions se sont multipliées : contre les supermarchés, contre un camion de couches que nous nous sommes réparties. Nous devions donc faire attention et nous avons commencé à sortir du quartier en groupes, en occupant des bus qui nous amenaient au centre et nous ramenait ensuite. Après, les chauffeurs de bus sont venus nous trouver pour nous demander de les prévenir quand nous faisions des actions. Ils ont dit qu'ils mettraient des bus à notre disposition sans interrompre le service normal. Mais la dernière fois, la loi a essayé de nous rattraper quand nous sommes allés prendre le bus”.

Le vendredi 16 août, 50 familles du quartier Frutillar ont exproprié un hangar qui contenait quantité de matériaux et du bois dont ils avaient besoin. C'est un curé qui avait construit ce hangar pour le quartier, puis il l'a laissé à un entrepreneur qui n'a jamais poursuivi son œuvre. Depuis, le hangar servait d'entrepôt. La presse a parlé de vol à main armée, les compagnons ont raconté qu'ils avaient mis le veilleur de nuit devant le fait accompli et qu'il avait cédé face au nombre, sans qu'il y ait la moindre menace. Après un affrontement avec la police, le hangar a finalement été récupéré par et pour le quartier. Les compagnons sont en train d'étudier les utilisations qu'ils peuvent en faire.

Cet exemple vient confirmer qu'il n'est meilleure forme d'organisation que celle qui consiste à prendre en main son destin, par l'action directe, la solidarité et le secours mutuel.

De la F.O.R.A, nous nous solidarisons avec les compagnons de Bariloche, espérons tisser des liens solides pour lutter contre l'Etat et ses violences.

Pour la Société de Résistance de Cholila,
Guillermo Zunzunegui
Organizacion obrera n°2, novembre-décembre 2002

 

[Note : On trouvera une description du MALO dans la note 38 de l’introduction et un second article sur lui page 36]

1 En 1993, au pays basque espagnol, commence à 35 km de Pampelune un projet de barrage qui comporte l’inondation de 1100 ha et la disparition de sept villages, dont Itoiz. Des habitants de la vallée entrent en résistance : manifestations, pétitions, occupation de bâtiments publics (parlement de Navarre en avril et septembre 95, février 96), blocages de route, occupation du chantier. Le barrage est aussi saboté : en avril 1996, huit personnes sectionnent à la tronçonneuse les câbles de transport de ciment, faisant chuter de 150 mètres de haut les wagonnets contre l’armature de béton. Les travaux sont stoppés pendant 11 mois. Finalement, une décision de justice annule en 1997 les travaux de barrage. La lutte continue alors contre la construction de nouvelles routes.
Des vidéos qui retracent cette lutte ont aussi fait le tour des squats en Europe suite à la répression qui a suivi l’action d’avril 96, les saboteurs s’étant laissés arrêter sur place.