UN RÉCIT DES ÉVÉNEMENTS
DE PRAGUE
Réunion préparatoire
La manifestation sest formée à environ 2 kilomètres
de la place de Prague où se trouve le Palais des Congrès
[lieu de la réunion du FMI]. La veille, pendant laprès-midi,
une réunion de 3000 personnes au centre de convergence
(« Convergence centre »), un grand complexe industriel
en banlieue, avait eu lieu pour discuter des plans pour bloquer
le Congrès. Les organisateurs tchèques de la manifestation
(INPEG) avaient décidé de permettre aux délégués
dy rentrer puis de les y bloquer en les empêchant
de sortir pour une soirée spéciale à lOpéra
prévue le soir.
Cependant, à cette réunion il était flagrant
quaucun plan navait été prévu
pour fermer de force la station de métro qui se trouvait
de lautre côté du cordon de police. Il était
plus quévident que ce serait pourtant le moyen quutiliseraient
les délégués pour aller et venir (et en effet
les médias ont rapporté quils se sont échappés
par cette voie). Le blocus prévu serait certainement inefficace
mais la réponse de lINPEG aux questions à
propos du métro était que nous ne pouvions le fermer
de force parce que les citoyens ordinaires avaient aussi besoin
de se déplacer.
Ceci a conduit les anarchistes à se réunir ce soir-là
en dehors de la réunion prévue pour le Bloc bleu.
Il fut décidé que nous prendrions la tête
du bloc bleu et que, plutôt que de nous fixer sur le point
de blocage prévu (qui nous aurait mis dans une position
vulnérable entre des falaises et une rivière), nous
irions marcher aussi près que possible du Palais des Congrès
puis nous tenterions denfoncer de façon non-violente
les lignes de police. Napoléon disait quun plan de
bataille nest jamais valable au-delà du premier contact
avec lennemi, nous le verrons plus loin.
A la tête du Bloc jaune, il y aurait le groupe italien Ya
Basta qui fut bloqué 24 heures à la frontière
parce que la police a voulu arrêter quatre dentre
eux qui se trouvaient sur la liste (du FBI) des personnes ayant
participé aux manifestations de Seattle. En solidarité,
1000 personnes qui étaient avec eux ont alors déclaré
que soit tout le monde passait la frontière, soit ils resteraient
tous là et commenceraient à construire des barricades
sur les voies. La police des frontières a alors été
forcée de céder et lundi, tard, les Ya Basta sont
arrivés.
Comme le Bloc anarchiste, ils avaient lintention dessayer
denfoncer les lignes de policiers. Ils étaient venus
avec une trentaine d « armures » rembourrées
et des casques que porteraient les personnes en première
ligne pour supporter les coups de la police.
Il y avait trois Blocs principaux de couleur, bleu jaune
et rose, chacun étant chargé de bloquer les points
daccès dans différents endroits autour du
Palais des Congrès. Il se trouvait au sommet dune
colline escarpée surmontant la ville et qui était
difficile daccès en de nombreux points à cause
des falaises. En plus, nous savions que nous avions en face 11
000 policiers avec un équipement anti-émeutes, des
chiens, des grenades flash, du gaz lacrymogène et des canons
à eau.
Les deux blocs bleu et jaune avaient à leur tête
des groupes qui avaient signifié leur intention denfoncer
les lignes de police. Les roses qui avaient le chemin le plus
long mais un accès bien plus facile rassemblait des pacifistes
et le gros des partis léninistes.
Départ de la manifestation
Lorsque nous nous sommes réunis sur la place, il était
évident que les 20 000 et plus manifestants espérés
ne seraient pas là, même si nous étions probablement
plus de 12 000 (dans ce compte-rendu, jai du mal à
donner des chiffres précis, jai vu le reportage dun
gros média qui parlait de 15 000 et dautres de 5
000). Les roses allaient prendre la tête de la marche, suivis
par les jaunes puis les bleus. Lorsque nous atteindrions le premier
point, la marche continuerait et les bleus se sépareraient
pour rejoindre la zone du Palais des Congrès située
à côté de la rivière. Après,
la même tactique verrait les jaunes partir par derrière
et prendre une seconde route vers le Palais, laissant les roses
continuer pour en arriver à encercler larrière.
Javais décidé de marcher avec le Bloc anarchiste
qui était en tête du groupe bleu (en fait il était
composé par une majorité danarchistes). La
tête du cortège était tenue par les anarchistes
tchèques, suivis par ceux des autres pays de lEst,
ce qui faisait environ un millier de personnes en tout. Tenant
des banderoles sur un côté de la marche, derrière
ceux de lEst, prenaient place les anarchistes de tous les
pays de lOuest et un grand nombre dautonomes allemands.
Ce bloc anarchiste comptait au moins 3000 personnes mais il est
possible que nous ayons été jusquà
5000. Une estimation exacte est difficile à faire parce
que du devant je ne pouvais jamais voir larrière
du Bloc et quil nest pas facile de compter des gens
qui forment des blocs aussi compacts. Il y avait en tout cas beaucoup
de monde derrière le bloc anarchiste et bien sûr
au moins un millier danars qui avaient choisis de marcher
avec leur groupe affinitaire dans dautres parties de la
marche. Ce dernier nombre est peut-être plus important et
est basé sur le nombre de drapeaux anarchistes, de badges
et de vêtements qui les identifie que jai vu dans
dautres sections [jaune et rose].
A la tête de la section bleue, nous devions marcher en rangs
compacts en formant une chaîne, les banderoles déployées
devant et sur les côtés de la marche. Afin de ne
pas dévoiler leur identité, la plupart des manifestants
étaient masqués, ce qui offrait en plus un début
de protection contre les gaz lacrymogènes. Ceux de devant
avaient également des casques de chantier et beaucoup portaient
des masques à gaz. Six ou sept rangées derrière
se trouvait une équipe médicale, équipée
de masques à gaz et de casques car nous nespérions
pas que la police respecterait les croix rouges voyantes marquées
sur leurs sacs et cartables.
Javais choisi de ne pas porter de masque et de discuter
avec les journalistes désirant faire des interviews sur
le pourquoi de notre marche daujourdhui en
faisant clairement comprendre que cétait seulement
ma vision et que nous navions pas de porte-parole. Javais
déjà parlé au contre-sommet le week-end,
cest pourquoi cela me semblait être la contribution
la plus utile qui pourrait être amenée dans les débats.
Cela signifie que je peux rapporter les événements
avec plus de précisions que des participants plus actifs.
Ce jour-là, le WSM [Workers solidarity movement, dont fait
partie lauteur] et les autres groupes anarchistes distribuaient
5000 exemplaires dune déclaration internationale
anarchiste signée par plusieurs groupes à travers
le monde. Elle explique pourquoi nous prenions part aux actions
à Prague et quelles alternatives nous avions. Le texte
complet de cette déclaration a été distribué
en quatre langues (dont le tchèque) 1.
Un mauvais point à signaler est que beaucoup de partis
léninistes avaient choisis de venir à Prague avec
des drapeaux rouges ornés du marteau et de la faucille.
Ainsi, les médias tchèques savaient quelles photos
ils mettraient en première page puisque ces drapeaux associés
à loccupation soviétique et à lancien
régime peuvent difficilement être populaires. Lorsque
le Bloc jaune sest formé devant nous, les anarchistes
dEurope de lEst ont accueilli chacune de ces bannières
avec un chant qui peut facilement être traduit par «
le bolchévisme cest du fascisme ! ». Je nai
pas fait chorus à cause de la difficulté de chanter
dans une langue que je ne connais pas et parce que je ne crois
pas que cette équation soit exacte même si dans le
contexte de lEst il sagit dune réaction
compréhensible.
Lorsque la marche a démarré, notre Bloc a chanté
toute une série de slogans, la plupart en tchèque
mais aussi certains en français, anglais et espagnol. Les
plus populaires étaient « solidarité internationale
», « smash, smash, smash the FMI » et «
no pasaran ». Cétait très impressionnant
dêtre au sein de ce bloc massif danarchistes
composé de personnes venues de tous les coins dEurope
en marchant vers ce que nous savions être un dur affrontement
avec la police.
A lassaut de la colline
Le Bloc bleu sest mis en route, les drapeaux bleus en tête,
la banderole rouge sur le côté pour restreindre le
mouvement dentrée et de sortie du bloc à partir
des côtés. La plupart des lignes jusquau drapeau
noir cerclé dun A étaient composées
de Tchèques, ensuite venaient quelques centaines de polonais.
Derrière eux suivaient des gens dEurope centrale
et de lest puis, sans ordre précis, des allemands,
des suédois, des grecs, turcs, espagnols, anglais, français,
belges, italiens, etc.
Dans les faits, la police na pas réagit et nous approchions
de plus en plus près de limmeuble du FMI. Finalement,
nous nous approchions dune colline escarpée menant
au Palais, à 300 mètres en contrebas dune
barrière derrière laquelle on pouvait voir la police
anti-émeute. Sur notre droite, une construction de quatre
étages sur la rue, sur notre gauche un parc ouvert en entonnoir
dont lextrémité la plus large se trouve au
sommet de la colline. Nous gravissons rapidement la colline puis
nous nous arrêtons à 30m des lignes de police. Là,
nous attendons une minute pour permettre à tout le monde
de se regrouper et pour enlever les banderoles sur les côtés.
A ce moment, les non-combattants (y compris moi) ont bougé
dans le parc. Puis le front a chargé.
Au cours des minutes suivantes, rang après rang, les gens
se sont lancés contre les boucliers anti-émeutes
avant de remonter sur le côté pendant que le rang
suivant se lançait à son tour à lassaut.
Le mur de protection a commencé à ployer puis a
cédé et les manifestants ont fait une percée
jusquà la crête de la colline, peut-être
à moins de 100m du Palais. La police a sorti son canon
à eau et la première grêle de grenades-flash
a détonné parmi les premiers rangs. Puis une charge
de matraques a forcé ceux qui avaient escaladés
les barrières à battre en retraite avant quils
ne soient pris au piège.
Lorsque la charge de matraques a atteint les barrières,
elle fut accueillie par une grêle de pavés et par
des manifestants armés de barres et protégés
avec des casques. Plus nombreux furent les manifestants qui traversaient
le parc et qui ont commencé à escalader le mur du
Congrès où à essayer de défoncer les
portes de ce mur. Certains observateurs ont précisé
quau moins une partie dentre eux y sont parvenus et
ont été repoussés par la police anti-émeutes
à 50m seulement du Palais.
Pendant ce temps, au sommet de la colline une bataille furieuse
était menée par les anarchistes. La police tirait
salve après salve de gaz lacrymogène suivi de lancers
de grenades-flashs sur les rangs compacts en contre-bas. Le canon
à eau arrosait en permanence de droite à gauche
les premiers rangs. Du parc surplombant la route, je pouvais voir
un grand drapeau anarchiste au centre de la mêlée,
trempé et imprégné de gaz lacrymogène
mais refusant de baisser pavillon. Une seconde charge massive
a repris, faisant reculer les policiers avant dêtre
à son tour repoussée lorsque la police a utilisé
deux véhicules blindés légers et a contre-attaqué.
Une demi-douzaine de cocktails Molotov ont volé sur les
lignes de police ce qui les a stoppé un instant mais a
eu peu deffet parce quils portaient des combinaisons
ignifugées.
Un match nul se mettait en place, la police était repoussée
à chaque fois quelle essayait davancer par
des manifestants armés de barres à mine et par des
jets de pavés. Les grenades et les lacrymos pleuvaient,
le bruit interrompant les discussions à lintérieur
du château [Palais des Congrès]. Au fur et à
mesure que la bataille faisait rage le long des barrières,
de plus en plus de manifestants remontaient vers larrière,
blessés ou souffrant des effets des gaz lacrymogènes.
Sur les lignes de front, on pouvait voir les manifestants portant
des casques de policiers et brandissant des boucliers et des matraques
pris à lennemi.
Pendant ce temps, quelque part au-dessus de nous, la tête
du cortège jaune avait atteint les lignes de police. Le
collectif italien Ya Basta en tête sétait préparé
à enfoncer les lignes ennemies avec des protections corporelles.
Ceux qui sont intéressés trouveront de nombreux
compte-rendus là-dessus. Lautre tentative de percer
les lignes de police a été conduite par le cortège
« rose et argent » qui, bien que moins important en
nombre, a réussi à prendre la police par surprise
et à franchir leur ligne à au moins une occasion.
Le cortège rose qui est parti le premier du square ne semble
pas avoir fait beaucoup deffort pour ce faire la
plupart des groupes léninistes qui en faisaient partie,
espéraient probablement en étant dans la première
partie du cortège montrer leurs banderoles aux médias.
Ce cortège a sûrement été moins fort
parce que les léninistes de « Socialistes Internationaux
» [International Socialists] ont menti sur le nombre de
personnes quils amèneraient au rendez-vous prévu.
Ils avaient estimé à 2500 personnes leur contribution
au cortège rose mais étaient en fait 1000 ce jour-là,
ce qui a obligé les bleus à envoyer du renfort (voir
après).
Le sommet de la colline dont soccupait le Bloc bleu devenait
une sérieuse impasse. Certains manifestants ont tenté
de trouver une solution sur les flancs de la ligne étroite
de la police anti-émeute en traversant une épaisse
plantation de pins qui bordait le mur du parc. Ils en ont été
chassés par une volée de grenades-flash et de gaz
lacrymo, tirées dans les arbres à bout portant.
De toute façon, il est apparu quen passant par le
parc, un groupe denviron cent personnes avait réussi
à briser une porte du mur et à pénétrer
dans les cinquante mètres autour du Palais avant de se
replier, pourchassés par la police anti-émeute équipés
de chiens.
Sur la gauche, lassaut frontal contre les forces de police
ne progressait pas à cause du canon à eau. De plus
en plus de personnes refluaient avec des blessures. Une brèche
sest ouverte entre les lignes de keufs et les manifestants,
qui tentaient ainsi de rester juste hors de portée du canon
à eau, avançant de temps à autre pour lancer
violemment des pavés ou de la peinture sur le pare-brise
du véhicule pour essayer de laveugler.
La police anti-émeute est entrée dans cette brèche
et le canon a suivi derrière eux, ouvrant un nouvel espace
de tir au sein duquel la police sest précipité.
Il y en avait assez pour quils tentent leur première
charge massive du jour contre les gens du parc [dont la plupart
regardait plutôt que de participer]. Comme prévu,
la plupart des gens firent une retraite rapide à larrière
du parc, puis sensuivit une bousculade plus que dangereuse
en descendant une pente raide et boisée. La méthode
en question consistait à utiliser larbre en dessous
de soi pour arrêter sa descente sans se cogner à
la personne qui avait également bondi dessus.
A ce moment, je suis retourné à lintersection
en bas de la vallée pour constater que quelques centaines
de policiers anti-émeute bloquait lautre côté
de la rue. Pendant que la bataille continuait à faire rage
autour de la route qui mène à la colline, je suis
resté à lintersection plus bas en regardant
les événements qui sy déroulaient.
Au départ, une centaine de personnes assises sur la route
faisait face à cette seconde escouade de police. Il y avait
un danger évident : si les keufs chargeaient, ceux qui
se battaient sur la colline se retrouveraient isolés. Certains
manifestants ont commencé à arracher des panneaux
et des arbres dans le parc et à construire une barricade
en face de ceux qui étaient assis. Dautres manifestants
en ligne faisaient face à la police, mais sans lattaquer.
Dans le même temps, un train transportant du béton
était arrivé sur les rails parallèles à
nous en formant un nouveau mur le long du parc en bas dans la
vallée. Il fut arrêté et des manifestants
linvestirent puis détachèrent des wagons,
réussissant ainsi à bloquer une partie de la voie
ferrée.
De retour à lintersection, une rivière deau
commençait à couler de la colline jusquau
coin où les détonations permanentes de grenades
et les nuages réguliers de gaz confirmaient que la bataille
furieuse continuait. Sur la route transversale, la barricade croissait
et, en fait, une seconde barricade était en train dêtre
élevée dans le parc où les deux routes se
rejoignent. Sur la première barricade, quelques manifestants
brandissaient des drapeaux anarchistes et quelques morceaux déquipement
de la police en direction des lignes de police. Les vitrines de
tout ce qui ressemblait à une banque ou un bureau dassurance
derrière la barricade était détruites et
les manifestants grimpaient dedans et en ramenaient toujours plus
de matériel pour les barricades.
Pendant ce temps derrière la colline, les équipes
médicales promulguaient les premiers soins sur les blessures
apparentes et bien sûr les doigts cassés et parfois
aussi les bras. Jai entendu quon a conseillé
à une personne de se rendre à lhôpital.
Atteints moins gravement, une partie des gens qui avaient été
au cur des tirs de gaz devaient donc laver leurs yeux avec
de leau. Un infirmier du cortège bleu a laissé
un commentaire sur le site d'Indymedia avec lequel je suis daccord
à propos de la « discipline » et de la coopération
remarquables entre ces anarchistes venus de toute lEurope
et dailleurs. Mais le rôle de léquipe
médicale a été héroïque, en particulier
parce quil est évident que la police leur avait réservé
un « traitement spécial ». Jai discuté
avec un infirmier qui, alors quil aidait un type de cinquante
ans habitant dans le coin et touché par les gaz lacrymo,
avait été visé et touché plusieurs
fois par le canon à eau lorsquil essayait de laider.
Plus troublant encore, il ma dit quune ambulance avait
refusé demmener le vieil homme à lhôpital.
Pendant les manifestations du week-end, on ma montré
à plusieurs reprises des policiers en civil. Une fois quils
étaient remarqués, leurs vêtements les trahissaient
à coup sûr. Dans le parc, jen ai observé
trois derrière les manifestants, qui furent virés
par un groupe dactivistes dès quils furent
repérés. Plus tard, des journaux ont publié
des photos de plusieurs de ces civils habillés comme des
manifestants (y compris avec de vieux passe-montagnes) et arrêtant
des gens. Des rumeurs provenant dautres cortèges
ont insisté sur le fait que plusieurs de ces flics ont
commencé les destructions contre la propriété
ce jour-là, dans des cortèges « calmes ».
Je nai pas didée sur la véracité
de ces rumeurs, mais il est sûr quils étaient
très présents.
La barricade sur la rue transversale a été mise
en feu pour contenir la police. A ce moment, des nouvelles sont
arrivées que lune des portes de la section rose navait
pas été bloquée et quils demandaient
du renfort pour le faire. Cela nous entraînerait dans un
trajet long et quelque peu vulnérable vers un côté
du Palais des Congrès entre une falaise et une rivière.
Le groupe de musique vêtu de noir, lanarchist Samba
band, sest formé et a réuni peut-être
trois cent personnes pour tenter ce blocage. Cela a provoqué
des dissensions parce que ceux qui restaient trouvaient que tout
le monde devait rester où ils étaient et défendre
les barricades en place.
Repli provisoire
Peu après leur départ, lavant du canon à
eau a fini par apparaître en bas de la colline. Il avait
fallu près de deux heures à la police anti-émeute
pour faire reculer de deux cent mètres les manifestants
sur une colline escarpée vers le bas. Maintenant, ils avaient
pourtant atteint larrière du parc, où la ligne
de chemin-de-fer et la falaise tendent à faire de notre
chemin de repli un entonnoir à col étroit. Lorsque
des centaines de keufs anti-émeute ont commencé
à se rassembler du côté du bout large, nous
avons entamé un lent repli qui a failli tourner en déroute
lorsquils ont chargé, parce que personne ne voulait
se faire prendre dans le bouchon qui ne manquerait pas de se former
du côté étroit de lentonnoir. Comme
la charge était aussi menée en diagonale, ceux qui
se trouvaient du côté des rails avaient peur de se
retrouver coincés.
En réalité, après une brève panique,
de nombreuses personnes ont ralenti à nouveau pour marcher,
même si à mon avis cest à ce moment
là quun millier de personnes ont décidé
quelles en avaient assez et ont décidé de
rejoindre le centre ville. Une fois que lextrémité
étroite du parc fut franchie, la tâche de construire
des barricades fut reprise. Jai décidé de
bouger en bas vers le blocage de la route sur la rivière,
en partie dans lespoir de trouver de la nourriture parce
que je navais encore rien mangé ce jour-là.
Ceci nétait pas possible parce que tous les magasins
du coin étaient fermés et je navais pas envie
de traverser les vingt keufs visibles sur les trois-cent mètres
de route qui me ramèneraient en ville pour en trouver un
douvert. Notre nombre avait maigrit à vue dil
et environ cent personnes préparaient un blocage sans trop
y croire et élevaient une barricade sur la route. A un
endroit, un groupe poussait une voiture pour ce faire, labsence
de roues semblait signifier quelle était abandonnée.
Ils voulaient la retourner sur le toit mais les autres ont refusé,
en disant quelle était aussi utile à lendroit
et que comme ça le propriétaire la retrouverait
avec seulement peu de dégâts. A la fin, elle est
restée ainsi et plus tard, lorsque nous avons été
forcés dabandonner le coin, quelquun a taggé
« désolé » sur le pare-brise.
Après être resté là un moment pour
me reposer, je me suis dirigé vers le bruit de lexplosion
des grenades où un épais voile de fumée ma
indiqué que laction continuait. Je me dirigeais vers
le parc du côté de la ligne de chemin de fer mais
un petit groupe venant en sens inverse nous a averti quil
ne restait rien dautre que des barricades en feu et des
centaines de flics anti-émeute de ce côté.
Je suis retourné à lintersection à
hauteur du pont ferroviaire au moment où une centaine de
personnes arrivait en déboulant de lautre côté
de la ligne de chemin de fer.
En fait, deux carrefours plus loin, la police avait défoncé
une autre barricade et groupe était en train de battre
en retraite. A lintersection suivante à cent cinquante
mètres de là, on pouvait voir une centaine dautres
personnes construire rapidement une autre barricade, cette fois
en utilisant des panneaux publicitaires qui avaient été
décrochés des murs. Ensuite vint une scène
surréaliste : une grand-mère dans une Skoda défoncée
est arrivée vers nous, contournant prudemment les manifestants.
Elle a atteint une barricade qui lempêchait daller
plus loin et, examinant les barricades en feu dans les rues à
sa droite et celle vers la rivière à sa gauche,
a préféré faire demi-tour.
Le groupe a ensuite entamé une discussion rapide sur la
suite des événements. Il était évident
que lendroit où ils étaient serait bientôt
pris et quils seraient conduits vers la rivière.
Des nouvelles sont arrivées disant que le blocus avait
été brisé partout ailleurs (il était
environ 15h30). Je pense que cette nouvelle était fausse
ou liée au secteur rose qui restait perméable).
La plupart des gens souhaitait se regrouper et se diriger vers
la ville plutôt que de se faire serrer. La discussion sest
arrêtée lorsquune limousine est soudainement
apparue à moins de cinquante mètres dans une rue
latérale. Environ cinquante personnes lont suivie
et comme il convenait de quitter rapidement ce chemin, ils lont
rattrapée avec des pavés et lont frappée
avec des bâtons. Le débat reprit.
Ils ont décidé de dabord chercher la section
du Bloc bleu menée par le groupe de Samba vers la rivière
car ils craignaient dans le cas contraire den être
coupés dès que la police atteindrait la rivière.
Un cycliste sest dirigé du côté des
barricades en feu pour dire à ceux qui sy trouvaient
quils se retiraient et ils ont bougé vers le groupe
de la rivière. Pendant ce temps, un flux constant de personnes
sétait replié en ville, cest donc moins
de deux cent personnes qui ont entamé la longue marche
entre la rivière et la falaise au sommet de laquelle trônait
le Palais du FMI.
Attaque du Palais des Congrès
Le congrès du FMI se tenait sur une falaise élevée
à notre gauche, à lintérieur dune
vieille forteresse. A notre droite coulait la rivière et
devant nous une route menait à celle-ci en passant sous
une voûte en pierre. Lorsque nous nous sommes approchés
de cette arche, nous avons aperçus deux personnes sur son
sommet, à peut-être cent mètres au-dessus
de nous. Ceux de devant ont commencé à chanter «
sautez, sautez ! », dabord en anglais puis en tchèque,
lorsquils ont remarqué quil sagissait
de deux flics, certainement postés là au cas où
certains auraient tenté descalader le rocher abrupte.
Au-dessus de nous, un hélicoptère de la police tournait,
signalant probablement notre position à ceux du sol.
Comme il y avait la barricade derrière nous, on était
sûr quil ny avait pas de voitures, seuls un
ou deux groupes dhabitants nous regardait passer. Après
environ un kilomètre et demi, nous avons atteint une bifurcation
qui contournait la colline par la droite, vers le Palais des congrès,
et qui traversait un quartier résidentiel. Ici, les rues
étaient calmes, le climat sympa et chaleureux, et peu après
nous sommes rentrés dans un supermarché, ce qui
a permis aux gens de se recharger en eau et nourriture. Leau
que javais utilisée pour nettoyer les yeux des gaz
lacrymo était épuisée, et le temps étouffant
avait rendu cette marche assoiffante.
Notre petite colonne continuait à monter la colline, pénétrant
maintenant clairement dans le secteur assigné aux Roses
après la rivière, mais jusquà présent
nous navions pas rencontré de manifestant. Finalement,
en haut de la colline, nous vîmes un autre petit groupe,
juste après une série de petits immeubles résidentiels.
Alors que nous approchions de lentrée de celles-ci,
des voitures de luxe ont accéléré et se sont
engouffrées dans une rue de côté. Rétrospectivement,
il sagissait sûrement de délégués
utilisant la dernière entrée non bloquée.
Jétais trop épuisé pour porter plus
dattention sur ce qui se passait et je me suis effondré
sous un arbre. Un gars en vélo a dit à tout le monde
que la route qui venait de derrière le pâté
de maisons était la dernière entrée non-bloquée
du Congrès du FMI. Quelque peu réticent, jai
suivi la petite bande sur la route bien quà cet instant
je pensais que la chose la plus sage était de partir avant
que la police ne se déchaîne contre notre groupe
en décomposition.
Après environ deux cent mètres, la route atteignit
la crête de la colline et conduisait droit au Palais. Ce
fut la première fois que je le vis distinctement, cette
fois plus ou moins sur la même plan que moi, et non pas
en haut dune colline infranchissable. Il était à
deux cent mètres. La seule chose qui nous séparait
de lui était une seule rangée de barrières
de police de lautre côté de lintersection,
cent mètres plus loin.
Cette vue était suffisante pour que la centaine de personnes
masquées charge la mince ligne de police. Ils se sont arrêtés
et ont regardé pendant deux secondes puis ont tourné
et couru, jusquà lhôtel à côté
du Palais, et on tourné avant de disparaître. Sachant
quune contre-attaque massive était inévitable,
jai marché jusquà lintersection
et légèrement au-delà. Ceux qui étaient
devant ont atteint lhôtel, à quelques mètres
du Centre et ont commencé à jeter des pavés
sur le bâtiment et sur les délégués
qui regardaient dehors depuis le balcon de lhôtel.
Plus tard, quelquun ma dit quil avait même
été jusquau Palais des Congrès.
Derrière moi, quelquun à lintersection
a hurlé « vite, la police revient ». Je suis
retourné à lintersection et au moins plusieurs
centaines de flics anti-émeute arrivaient en trottinant
vers nous. Derrière moi, ceux de lhôtel revinrent
à toute allure dans la rue et je ne fus pas long à
les rejoindre. Lorsque jai regardé derrière
mon épaule, jai vu un canon à eau venir à
toute allure du coin de lhôtel et des centaines dautres
policiers. Au bout de la rue, ils ont été rejoints
par la police anti-émeutes que nous avions vu trottiner
en provenance dune rue latérale.
Lun des gros désavantages de la police anti-émeute
cest que leurs protections les empêchent de courir
vite sur de longues distances. Toute la journée, les gens
couraient ainsi sur cinquante mètres puis sarrêtaient
pour vérifier sils étaient toujours poursuivis
ce type de tactique permettant quils ne nous mettent
pas en déroute plus tôt dans la journée. Ainsi,
nous avons passé le coin et atteint le haut dune
voie très longue, très raide et herbeuse qui longeait
les immeubles pour nous ramener à notre point de départ.
En se retournant, à moins de cinquante mètres, le
canon à eau et tous les keufs sétaient arrêtés
pour inonder les alentours.
Jai suivi un chemin qui zigzaguait en descendant le long
des banques avec quelques autres. Lorsque la police anti-émeute
eut atteint le sommet de la colline autour de nous, ils ont commencé
à jeter des grenades flash et à tirer du gaz lacrymo
plus bas vers nous pendant que nous descendions la pente. Nous
avons atteint le bas et cherché le prochain endroit vers
où courir, avec quelques personnes qui nattendaient
pas et se dirigeaient droit devant elles dans la rue qui conduisait
directement loin du bâtiment.
Rencontre avec les pacifistes
Une fois que les choses se sont calmées, nous avons à
nouveau remonté la route vers lintersection qui mène
à celle du Palais, mais des centaines de policiers étaient
visibles en haut de celle-ci. Là, nous avons rejoint quelques
sections manquantes du Bloc bleu, y compris le groupe de Samba
anarchiste, et collectivement nous avons décidé
que nous devions bouger de là avant que la police ne parvienne
jusquà nous. Alors que nous remontions la colline,
nous avons commencé à rencontrer quelques membres
du cortège rose qui nous précisaient quils
avaient un blocus non-violent sur la route à double-sens
qui mène au Palais. Le pont que Ya Basta tentait de forcer
à leur façon était la même route à
double-sens, mais de lautre côté du Palais.
Il y eu un moment tendu lorsque la partie du Bloc bleu est arrivée
à cet endroit, la plupart étant masquée,
portant des drapeaux anarchistes et des pavés. Le blocus
pacifiste nétait dévidence pas intéressé
par la venue de ces éléments qui brisaient latmosphère
amicale quils avaient créée avec la police
; à notre arrivée, ils ont dit : « sil
vous plaît, asseyez-vous pas de violence ».
Quelques uns des types les plus chauds en tête du cortège
bleu jetèrent des pavés au-dessus des têtes
des pacifistes assis sur la route, sur la ligne des Robocops.
Heureusement, ils furent rapidement retenus par les plus calmes
du cortège bleu avant que la police puisse utiliser ceci
comme prétexte pour charger.
Une dispute a alors éclaté entre les éléments
les plus énervés des Bleus et les leaders du sitting
pacifiste. Il semble quil sagissait de Léninistes
dispersés à larrière de leur groupe
et de nombreux jeunes Suédois devant le nôtre. Comme
je pensais que cétait un peu excessif de les embrouiller
au nom dune confrontation violente dont ils ne voulaient
pas et que jétais complètement épuisé,
jai décidé de masseoir avec eux au moins
pour un instant.
Bien que les choses soient restées tendues un moment, plus
aucun projectile ne fut jeté. Le moment le plus tendu fut
probablement lorsque quelquun crétin dans la foule
pacifique a commencé à chanter en chur «
Give peace a chance » 2. Je sentais que cela provoquerait
à coup sûr une réaction des gens qui venaient
de passer quelques heures à se faire maltraiter par les
gaz lacrymogènes, les grenades flash, les matraques et
les chiens. Mais par chance, ils ont arrêté de chanter
et ont commencé à chanter des choses plus cool.
Certains des éléments les plus bagarreurs des Bleus
ont bougé par la droite et ont disparu pendant que les
drapeaux anarchistes sont restés en bas de la route un
moment. Les pacifistes ont repris les incantations « pas
de violence sil vous plaît asseyez-vous »
pendant un long moment mais ils ont semblé au fond assez
ravis que la menace immédiate ait disparue.
Hors de vue sur notre droite, il se passait dévidence
quelque chose parce quon pouvait entendre les mêmes
chants et quensuite de grandes escouades de police anti-émeute
courraient derrière la barrière pour revenir des
minutes plus tard.
Je suis resté avec la manifestation pacifique une demi-heure,
en partie parce que la police a soudainement sorti un canon à
eau et remplacé les policiers à casques blancs de
devant par des grappes de Robocops portant des casques noirs.
Jai supposé à ce moment-là que ces
casqués de noir étaient une sorte descouade
plus puissante et je me suis dit que je resterais ici et me ferais
arrêter si nécessaire sils chargeaient les
pacifistes.
Les chefs de la section rose pacifiste se sont avancés
et ont parlé à des chefs de la police anti-émeute.
Puis ils ont annoncé quil y avait une réunion
sur le côté et que chaque groupe daffinité
devait envoyer un porte-parole. Les flics se sont un peu relâchés
et ont repris la pose en stand-by plutôt que « prêt
à charger » quils avaient quelques minutes
plus tôt. Puis les flics en casques noir furent changés
et remplacés par ceux à casques blanc. A ce moment,
les pacifistes ont commencé une véritable salve
dapplaudissements je suis forcé dassumer
que cétait pour la police !! Dévidence,
le bruit constant des grenades et les nuages de gaz lacrymo venant
des autres secteurs ne les avaient étrangement pas détournés
de leur attitude amicale envers les flics.
Plus tard, jai su quil y avait eu des négociations
sur un des blocus à un endroit pour permettre aux restaurateurs
et autres travailleurs de sortir du Palais. Je suppose que cest
probablement ce que javais vu, mais jai levé
le camp au moment où tous ces applaudissements mont
persuadé que ce nétait pas vraiment avec ces
gens que je voulais me faire arrêter.
Cest à peu près à ce moment que lhistoire
a commencé à circuler que la police avait dit aux
délégués que comme ils ne pouvaient garantir
leur protection au centre ville, le spectacle à lOpéra
de cette nuit-là était annulé. Comme lobjectif
prévu par le blocus était darrêter la
représentation à lOpéra, nous avions
réussi non pas comme cela serait arrivé à
laide de sitting non-violents (les délégués
seraient partis en métro), mais en harcelant la police.
Confrontations en centre ville
Alors que je continuai ma longue marche dans le centre ville,
jai rencontré à nouveau le Bloc bleu, menant
cette fois une bataille rangée dans une rue latérale
qui menait à une artère principale avec une ligne
de tram. Les effectifs étaient remontés jusquà
peut-être trois cent personnes, mais cela semblait encore
un nombre ridiculement petit pour sattaquer à onze
mille policiers anti-émeute.
De lautre côté de lartère principale,
un grand nombre de tchèques observaient le déroulement
de lémeute. Tout à coup, en bas de la route,
une voiture a fait une embardée visant de manière
délibérée un groupe de manifestants. Probablement
une attaque dun fasciste, ils traînaient depuis le
début du week-end à laffût de victimes
potentielles. Quelle quen eût été la
cause, les effets en furent intéressants. Les tchèques
de lautre côté de la route ont commencé
à hurler en montrant du doigt la voiture, ce qui a permis
au petit groupe qui déterrait des pavés un peu plus
haut de lapider la voiture alors quelle tentait de senfuir.
Après cela, les manifestants ont tordu les barrières
qui séparaient la rue du trottoir et les ont déplacées
pour bloquer la route. Cest à ce moment-là
que jai vu un pacifiste chronique déclarer en anglais
(daprès laccent, cétait un américain)
à une équipe de télévision que tout
ces « autonomes » navaient rien à voir
avec la manif, un couplet qui sera repris plus tard par certains
des organisateurs de lINPEG. Au même moment, à
quelques centaines de mètres, une centaine de ces «
autonomes » qui avaient probablement poussés du sol
en une nuit continuaient la bataille contre la police.
Vers cette heure-là, la nuit commençait à
tomber et il nous apparut quil valait mieux abandonner le
blocus avant larrivée inévitable de la police
anti-émeutes. LAnarchist Samba Band réapparut
et tout le monde leur emboîta le pas. Quelque chose dintéressant
sest produit, le nombre de manifestants marchant vers le
centre ville a augmenté jusquà réunir
2000 personnes environ, sous les seules bannières visibles
: les drapeaux noirs.
Abandonnant les barricades, nous marchions sur le centre ville
en formant une longue colonne. Devant, la Samba Band jouait (très
bien) et les rues sans voitures transformaient la marche en un
carnaval victorieux. Lorsque nous passions devant les immeubles
résidentiels, de chaque côté de la rue des
gens se mettaient au balcon pour regarder cette étrange
procession, pas mal de personnes nous faisaient signe. Ma fatigue
disparut dun coup, nous avions limpression de contrôler
la rue et cétait vrai : plus aucun flic visible aux
alentours, seul lhélicoptère continuait à
survoler la ville.
Alors que la nuit sinstallait, un cracheur de feu se mit
à luvre à lavant du cortège
pendant que le groupe de musique embrayait sur des rythmes plus
souples. Pendant les breaks, la foule levait le poing en lair
en criant « Hey ! ». Lorsque nous croisions un tram,
les conducteurs faisaient sonner leur cloche et lensemble
en venait à ressembler aux films dEisenstein. De
chaque côté du cortège, des individus masqués
cassaient les vitrines de chaque banque rencontrée mais
lesprit de confrontation qui avait régné toute
la journée faisait place à un sentiment de joie
victorieuse.
Après une longue route, nous sommes arrivés en haut
de la place Wenceslas où le Mac Donalds fut rapidement
attaqués par certains, en tête du cortège.
Il y eut ensuite une brève retraite, suivie dune
charge lorsque nous nous sommes rendu compte que les flics qui
avaient chargé étaient seulement une vingtaine.
Les gens s'éparpillèrent ensuite sur la place, se
mêlant aux tchèques, aux touristes et aux autres
manifestants qui sy trouvaient. En haut de la place, la
terrasse du Musée National était remplie de badauds
qui voulaient regarder ce qui allait se passer.
Quelques temps après notre arrivée, un cortège
composé dune centaine de personnes est arrivé
de la rue qui menait en haut de la place. Ils furent dabord
accueillis par des cris denthousiasme avant que nous réalisions
que ceux qui étaient au premier rang scandaient «
non à la violence ! » et avaient fait probablement
tout ce chemin depuis le blocage des roses pour nous policer.
Ils furent complètement ignorés et ça ma
amusé de voir des clones du pacifiste chronique que javais
vu en train de parler à léquipe de télévision,
faire leur show pour les caméras, debouts devant le Mc
Donalds comme sils le protégeaient. Un exercice
absurde puisquil ny avait plus rien à protéger.
Javais décidé quil était lheure
de rentrer et je me dirigeais vers la station de métro
en bas. Ce que nous ignorions, cest que le FMI avait décidé
de programmer lOpéra dans une nouvelle salle, le
Centre des expositions. Ce plan fut découvert, et un certain
nombre de manifestants organisèrent des embuscades avec
des bombes de peinture sur le chemin de la salle, ce qui conduisit
à lannulation définitive de lOpéra.
Le FMI et ses protecteurs venaient dessuyer une double humiliation.
Lorsque nous avons atteints le milieu de la place, nous avons
vu des rangées de casques blancs rentrer par le bas et
commencer à charger vers nous. La bagarre avec la police
qui avait été longtemps attendue allait enfin avoir
lieu, les délégués étaient rentrés
dans leurs hôtels et la police était déterminée
à arrêter et tabasser tous ceux qui traînaient
pour se venger. Nous avons donc pris la fuite par le haut et la
décision de nous échapper par la première
route que nous trouverions.
Nous avons battu en retraite avec assez davance sur la police
anti-émeute pour le faire calmement. Nous avons dépassé
le bloc pacifiste qui était toujours devant le musée
à scander « non violence ». En passant, jai
glissé à ceux qui étaient au bord quils
feraient mieux de se tirer vite fait avant larrivée
des keufs. Pour ce conseil, jai reçu des regards
perplexes et hostiles, et comme je nallais pas traîner
pour argumenter, je suis parti.
A quelques centaines de mètres de là, je me suis
retourné au moment même où une salve de gaz
lacrymogènes et de grenades-flash sabattaient sur
le perron du Musée National, à lendroit où
les tchèques et les pacifistes se tenaient. Un tchèque
avec lequel je me trouvais ma fait remarquer que cétait
la première fois que cela se produisait depuis linvasion
russe de 1968. Il était vraiment temps de rentrer !
Joe Black
joe.black@pmail.net
Ce récit irlandais est sorti dans la semaine qui a suivi
ces événements. Nous avons traduit « stun
grenades » par grenades flash.
1 Le signataire français de ce texte est Alternative Libertaire
France. Les autres sont notamment le Worker solidarity movement
(WSM, Irlande), la Fédération des communistes anarchistes
(Italie), lOrganisation révolutionnaire anarchiste
Solidarita (Tchéquie), la Fédération des
anarcho-communistes du Nord-Est (NEFAC, Etats-Unis et Canada),
Bikisha Media Collective & Zabalaza Books (Afrique du Sud)
... Voir AL no90, octobre 2000
2 « Donne une chance à la paix ». Il sagit
dune chanson de John Lennon de 1971 à propos de la
guerre du Vietnâm.
[Texte paru en anglais en trois parties sur a-news les 28 septembre,
3 octobre et 6 octobre 2000 à partir de Ainriail, liste
de diffusion irlandaise. Il a été traduit par S.
et C.C. en français puis publié dans Cette Semaine
n82 - BP 275 - 54005 Nancy cedex]