Le 18 juin 1999 se tenait à Cologne (Allemagne) un sommet du G8, le groupe censé réunir les huit « pays les plus industrialisés du monde ». Ce jour-là était aussi prévu pour être celui des anti-capitalistes partout dans le monde et, de fait, de la Corée au Nigéria ou en Biolérussie, et de San Francisco et Eugene (où Robert Thaxton, un anarchiste, a pris 7 ans de prison suite à l’émeute 1) ou Londres, se sont tenues des manifestations. Dans la capitale anglaise, le rassemblement organisé par Reclaim the Streets a viré à l’émeute, provoquant des millions de Livres de dégâts, la plus importante depuis celles qui s’opposaient à la Poll Tax en 1990. Cette journée est souvent présentée comme le point de départ de la contestation « anti-mondialisation ». On constatera tout de même une évolution avec la centralisation des protestations comme ça allait être le cas pour Seattle en novembre 99 pour l’Amérique du Nord et en septembre 2000 pour l’Europe.

La manifestation du 18 juin dans la City à Londres contre le Sommet du G8 :
une description vue de notre côté

La manifestation du 18 juin dans la City à Londres contre le Sommet du G8 fut étrange ! Ce fut probablement la plus belle émeute à Londres depuis celles contre la Poll Tax. Les flics ont totalement perdu le contrôle de la situation et ont reçu une bonne leçon, pendant que différentes boîtes comme McDonald’s, des concessionnaires automobiles, des banques et le Future Exchange (la Bourse des marchés dérivés) ont été ravagés. D’après la presse, quatre flics ont été hospitalisés. La City fut couverte de graffitis anarchistes. Chaque fois que vous étiez avec une foule nombreuse en pensant que c’est super qu’il y ait tous ces gens, vous tourniez le coin et il y avait une foule encore plus nombreuse qui foutait le bordel!

La journée a commencé (pour moi) à Smithfield Meat Market vers 10h30. Il y avait une petite centaine d’activistes et quelques flics. Le marché débute d’habitude aux premières heures du jour et il y a normalement quelques personnes à cette heure là. Mais le 18 juin : toutes les entrées pour marchandises étaient fermées et les entrées piétonnes bien verrouillées. A la place, il y eu une manifestation sur High Holborn devant le quartier général de la British Poultry Association [Association anglaise des producteurs de volailles] avant d’aller vers les bureaux de l’Imperial Cancer Research Found [le Fonds impérial de recherche contre le cancer] sur Lincoln’s Inn Fields en passant devant plusieurs McDonald’s.

Après cela, la manifestation s’est retrouvée dans la City où nous avons rejoint d’autres activistes à Liverpool Station. Il devait bien y avoir des dizaines de milliers de personnes, remplissant entièrement les alentours de la station et les rues avoisinantes.

Il y avait des joueurs de batterie au milieu de la station et l’acoustique était excellente — on pouvait entendre le son exploser dehors malgré l'absence d’amplis. D’autres batteurs et des musiciens se trouvaient à l’extérieur en train « d’amuser les troupes » pendant que certains escaladaient les façades des banques et y accrochaient des banderoles.

Le temps était très chaud et beaucoup d’employés venaient pour goûter à cette atmosphère de carnaval. Mais massés à l’arrière et dans les rues adjacentes, se trouvaient les nombreuses forces de l’Etat : la police londonienne de la City (qui agit uniquement dans le quartier des finances), la police urbaine et aussi la police du Kent [le comté où se trouve Londres]. A ce moment-là ils discutaient à propos d’une approche en douceur.

Les gens buvaient et il y avait certainement une consommation de drogues qui font rire. La situation était celle d’un baril de poudre qui baignait simplement (excusez la métaphore croisée) en attendant l’étincelle qui ferait exploser le tout.

Sur les routes aux alentours, devant, il y avait des lignes de flics anti-émeutes en cagoules, casques, costumes noirs et boucliers pour barrer le chemin. Après une heure environ, les gens ont voulu bouger vers la City et n’étaient pas très contents d’en être empêchés. Le déblocage de la situation s’est accéléré avec l’aide de la toujours très présente « bande d’alcoolos » (le fond de boissons des crusties, Spécial alcoolos/bière extra forte) et les flics furent bombardés avec des bouteilles et des canettes puis tout ce qui tombait dans nos mains.

Mais la maigre ligne des bleus ne voulait pas céder et la foule a chargé vers elle en entourant plusieurs véhicules anti-émeutes. La police a pris peur et a entamé une retraite rapide à l’intérieur du refuge précaire que constituait leurs véhicules. Certains sont montés dessus et ont commencé à danser et à sauter sur leur toit pendant que d’autres donnaient des coups de pied dedans et arrachaient les parechocs et les plaques d’immatriculation. Au bout d’un moment, la police décida qu’elle en avait assez et a fait marche arrière rapidement. Quelques personnes furent heurtées par leurs vans en fuite et une femme a eu recours à une ambulance et aux pompiers après avoir été traînée sous un véhicule anti-émeutes.
Après cela, les flics ont arrêté de tenter la méthode de la confrontation directe et ont surveillé à partir des bords alors que les vitrines se brisaient et que des graffitis apparaissaient soudainement sur les banques commerciales et les monuments publics.

Un McDonald’s sur le chemin fut totalement ravagé par les activistes qui ont descendu chaque vitre, détruit l’intérieur et bombé des graffitis sur les murs à l’intérieur. Les caisses enregistreuses furent aussi ramenées et brisées jusqu’à s’ouvrir sur la route pour que tout le monde puisse se saisir de l’argent.

Juste en bas de la rue se trouvait l’immeuble LIFFE où se tient une sorte de commerce d’actions. Les manifestants essayèrent de donner l’assaut à l’immeuble et le foyer fut totalement ravagé. La police a tenté d’intervenir mais le nombre de personnes qui s’opposait à eux les a obligé à battre en retraite. La sécurité a réussi à repousser l’envahissement total mais tous les échanges de cette bourse furent suspendus pour la journée. Quelqu’un écrivit en hauteur sur le mur de l’immeuble : « Les banquiers sont des branleurs ».

Après cela, un sound système a été mis en marche et des milliers de personnes ont dansé dans les rues. Quelques bouches d’incendie furent ouvertes et des jets d’eau giclaient en l’air. Un groupe de gens qui protestaient pour avoir le droit d’être nus en public se sont déshabillés au milieu de la foule. Un concessionnaire de Mercedes-Benz fut démoli un peu plus loin et une voiture fut enflammée par les manifestants.

Après quelques heures, toutes ces personnes ont bougé vers Trafalgar Square pour le « réclamer » aux royalistes avec le slogan « Merde au mariage royal ». Toute la place était remplie de hippies, de punks, de crusties, de ravers et d’anarchistes, où des jongleurs avec le feu et des tambours jouaient pour le plaisir. La colonne de Nelson fut remplie de graffitis anti-flics et anti-royalistes. Les gens sont restés là volontiers jusqu’au soir et que je sache, plus rien ne s’est passé.

Il y avait aussi pendant ce temps quelques petites actions dans la City comme des sittting devant différentes banques, des rassemblements contre la dette du Tiers-Monde et un rally en vélo le matin pour bloquer le trafic dans la City jusqu’à provoquer des embouteillages.

Quand je suis retourné le lendemain (samedi 19), les vitrines cassées étaient colmatées et les vitriers en train de travailler dur. Les nettoyeurs commençaient à effacer les graffitis sur les immeubles (il ne travaillent pas si rapidement dans nos parties de la ville !). La City est de toute façon déserte le samedi et le dimanche, les affaires du week-end n’auront donc pas été vraiment affectées.

Le Evening Standard (le journal quotidien de Londres) déclara dans ses premières éditions : « Un sac de nœuds mais pas vraiment l’anarchie ». Ils ont du réviser leur jugement dans leur édition du lundi a en croire les papiers des journaux de samedi.

En résumé, cette journée a dépassé mes plus hautes espérances, et néanmoins si plus de personnes s’étaient « équipées » proprement, il y avait le potentiel pour causer encore plus de dégâts. Mais à cause du temps extrêmement chaud, les gens n’étaient pas très masqués, aussi nous verrons si la police arrêtera des gens après coup en utilisant la videosurveillance.S’il y avait d’autres manifestations de ce type, j’encourage toute personne à venir — c’est certainement un événement à ne pas rater, vous ne serez pas déçus !

Paul Q.
paul@laa01.freeserve.co.uk

(1) Robert Thaxton # 12112716 — OSP — 2605 State St. — Salem, OR 97310 — Etats-Unis.

[Ce récit, traduit de l’anglais pour cette brochure, a été publié sur a-news le 21 juin 1999]


Encadré :

Le jour où la City est devenue un champ de bataille

(...) Mais la fête a mal tournée après le déjeuner lorsque les manifestants ont marché sur London Wall et furent bloqués par la police. Trois véhicules de la police anti-émeutes furent immédiatement entourés, des manifestants dansant dessus. La police s’est retiré en vitesse, en écrasant une femme. Les manifestants se sont alors assis devant les véhicules. Un homme a été blessé après avoir heurté le capot d’un des véhicules.
A 16h, le restaurant McDonald’s de Cannon Street a été envahi, les chaises ont volé, les vitrines furent brisées, des graffitis bombés sur les murs et la nourriture jetée dans la rue. Avoir avoir endommagé une Mercedes et une Jaguar, plusieurs centaines de personnes se sont introduites dans la Futures Exchange, brisant toutes les glaces dans le hall et abimant les escalators.
Alors que les échanges commerciaux du jour s’achevaient, 400 personnes ont été évacuées de l’immeuble. Le porte-parole de LIFFE (London International Finance, Futures and Options Exchange) a déclaré : « On nous a conseillé de l’évacuer pour sauver des vies ».
La Police a reçu de nombreux renforts et a tenté de repousser les manifestants derrière la Tamise. Une série de charges à cheval ont dispersé la foule. Alors que les gens bougeaient de là, des militants déterminés ont pénétré dans des appartements vides et en ont brisé les vitres pendant que la police investissait la Normand Bank où un petit feu commençait à prendre.
La bataille s’est durcie vers Broken Wharf et la Upper Thames Street avec plusieurs centaines de policiers anti-émeute chargeant toutes les minutes, à cheval et à pied. Une voiture fut mise en feu et il y eu encore plus d’atteintes à la propriété.
(...)
John Vidal and Libby Brooks, The Guardian [équivalent du Monde], samedi 19 juin 1999