Détruire
le capitalisme et lEtat ou les consolider
« Je ne suis vraiment libre que lorsque tous les êtres
humains qui mentourent, hommes et femmes, sont également
libres. La liberté dautrui, loin dêtre
une limite ou la négation de ma liberté, en est
au contraire la condition nécessaire et la confirmation.
Je ne deviens libre vraiment que par la liberté dautres,
de sorte que plus nombreux sont les hommes libres qui mentourent
et plus profonde et plus large est leur liberté, et plus
étendue, plus profonde et plus large devient ma liberté
»
Michel Bakounine, notes du manuscrit qui fut nommé après
sa mort Dieu et lEtat, 1882
Le 30 novembre 1999 est devenu ce quil est aujourdhui
convenu de nommer « la bataille de Seattle ». Ce jour-là,
les tentatives pour bloquer la tenue du sommet de lOrganisation
Mondiale du Commerce ont pris la forme daffrontements avec
la police anti-émeutes et de destruction de commerces pour
un coût de plusieurs centaines de milliers de dollars. Ce
jour-là, les bataillons des partisans de laction-directe
non violente avaient quant à eux décidés
de laisser la violence sexercer directement contre eux-mêmes
en senchaînant et sasseyant malgré les
coups, les gazages et les arrestations suivies dincarcérations.
Ces deux réalités destructions et pillages,
martyrologie du corps ont cohabité, même si
les seconds nont pu parfois sempêcher de collaborer
avec la police. Les syndicats étaient également
venus avec leurs troupes, mais leur discours nationaliste bien
rôdé na pu empêcher quune partie
des prolétaires affiliés à leur gang naille
se jeter dans la bataille.
Depuis, toutes ces pratiques semblent devenues un rituel, et les
bouffons qui souhaitent régulièrement se réunir
publiquement pour mettre en scène des décisions
prises depuis longtemps sans eux, affrontent des manifestants
par la médiation de leurs chiens de garde. Les conventions
des partis républicain et démocrate américains,
le sommet annuel du FMI, une réunion de chefs dEtat
et ministres européens, un colloque de décideurs
planétaires, la visite dun président américain,
rassemblent à chaque fois les spécialistes de lopposition
citoyenne et les partisans du rapport de force immédiat,
qui tendent à leur tour à devenir des spécialistes
de la radicalité. Laissons directement tomber les premiers,
dont la fonction si transparente est de se situer dans le cadre
dune alternative démocrate au capitalisme en jouant
le rôle de pacificateurs sociaux, pour nous attacher aux
seconds (au sein desquels évolue lauteur de ces lignes).
La question de la « mondialisation », du « néo-libéralisme
» et autres euphémismes pour qualifier le capitalisme
et ses mutations ne nous intéresse pas non plus. Mondialisé
depuis bien longtemps (1), ce dernier et lEtat qui laccompagne
nécessairement nous écrasent chaque jour davantage
et tendent non seulement à contrôler mais aussi à
supprimer toute vie sur terre. Il ne sagit pas là
de nostalgie quelconque sur un état antérieur mythique
mais bien de la question fondamentale de la vie, soit la réappropriation
de soi totale par chaque individu et lexpression absolue
de subjectivités qui ne prennent corps que dans léchange.
Sil est bien entendu que la libération individuelle
effective de tous/toutes ne peut quêtre collective,
il sagit aussi dès à présent de sattaquer
au capitalisme et à lEtat sans attendre de tout le
monde sy mette, en souhaitant comme Vaneigem il y a 30 ans
que « le primat de la vie sur la survie sera le mouvement
historique qui défera lhistoire » (2). Cette
question est bien au cur de notre lutte puisque si lennemi
la bourgeoisie est bien identifiée, tout
comme le système qui la produit le capitalisme ,
nous souhaitons interroger à loccasion des grandes
journées daffrontement type Seattle la manière
employée pour leur porter des coups. Car, sous peine de
consolider ce que nous avons toujours limpertinence de vouloir
détruire, cest notre désir de liberté
qui doit sexprimer à cette occasion comme en mille
autres plus quotidiennes.
La liberté comme ennemie de la séparation se trouve
dévidence présente lors de ces affrontements.
Lorsquelle ne se dissout pas dans un mouvement de troupeau
qui lui fait perdre toute autonomie, cest au contraire la
force collective qui par le jeu des affinités, y
compris spontanées lui permet de dépasser
des séparations quotidiennes comme latomisation,
limpuissance, les hiérarchies (bien souvent implicites),
la division du travail ou labsence dimagination. La
griserie de ces moments, porte ouverte aux expressions concrètes
du rapport de force qui sétablit, permet alors à
la liberté de se matérialiser sous forme de désirs
en actes à la fois négatifs (détruire tout
ce qui peut lêtre) et positifs, vers le dépassement
des séparations. Mais ceci ne prend tout son sens, à
savoir des attaques contre le capitalisme, que si une nouvelle
séparation ne sopère pas entre ces «
grands moments » et le reste du temps. La liberté
nétant pas divisible, lenfermer entre dune
part un quotidien dominé par limpuissance ou la résignation
et dautre part des éruptions radicales et collectives,
revient bien plus à consolider ladversaire quà
ouvrir des brèches. En effet, même dans le cadre
dun système dont on ne saurait briser seul les limites
quen sautodétruisant, la liberté qui
peut trouver une expression plus complète bien que toujours
partielle lors de ces affrontements, devient vite, de fait, un
artifice si elle ne constitue à ces occasions un prolongement
de luttes au quotidien. Cette critique se traduit dans plusieurs
articles de cette brochure par celles des « révolutionnaires
professionnels », « spécialistes » ou
« activistes » / « militants ».
Ainsi, même si le rapport de force est bien moindre, cest
pourtant à partir de la survie de chaque individu quil
sagit non seulement de résister et de lutter mais
aussi daffirmer cette liberté, ses désirs,
ses rêves et cette soif dabsolu qui ne saurait être
limitée. Il ne sagit pas dattendre quun
nombre suffisant de personnes se réunisse pour la matérialiser
mais au contraire quelle plonge ses racines dans ce qui
constitue chacunE, qui peut être du salariat ou de la débrouille,
de la masturbation solitaire ou des fusions éphémères,
de la location ou du squat, ... Il sagit non seulement de
la matérialiser à lintérieur de sa
survie (vols, sabotages, expropriations, pillages, amours, utopies,
vandalisme, séquestrations, grèves, insultes, saccages,
complots, incendies, écrits...) sans se leurrer sur les
murs et les recoins de la prison sociale, mais surtout de partir
de soi pour développer des affinités et des luttes
avec dautres individus et non pas se contenter dune
posture dindividu atomisé qui se chercherait dans
les hypothétiques « mouvements sociaux », partis,
syndicats, groupes et sectes diverses.
Si la question de la liberté comme absence de séparations
pose la question du prolongement entre le quotidien et ces affrontements
collectifs ponctuels et radicaux, et celle de laccomplissement
individuel par rapport au groupe, qui simpose alors comme
une entité supérieure et forcément autoritaire
plutôt que comme lassociation toujours vivante entre
des individus ; la question de la liberté par rapport à
laliénation nous semble de la même façon
conditionnée au système qui la produit. Répétons-le
encore une fois, il nexiste pas dalternative dans
ce monde, nous en sommes tous/toutes prisonnierEs et toute tentative
de rompre partiellement avec lui ne fera que le renforcer si elle
narrive pas à dépasser ses propres limites,
dont la moindre nest pas celle de ses aspects justement
partiels. A ce titre, on ne va pas pour autant se résigner
à ne filer régulièrement que des coups de
griffes sur la main du maître qui caresse comme il frappe,
pas plus quon ne va sempêcher daméliorer
notre survie, ce qui passe dailleurs par des luttes contre
lui. Et si, lorsquil sagit de briser les séparations,
la démarche volontariste et profondément humaine
consiste à avancer chaque fois que cela est possible vers
plus de liberté, en matière daliénation
il en va de même.
La lutte elle-même tend en effet à créer de
nouvelles séparations tout comme elle produit sa propre
aliénation. Si en novembre/décembre 1995 en france,
lune des forces du « mouvement » fut le sentiment
collectif dune force (le fameux « tous ensemble !
») et par là louverture vers le champ des possibles,
lorsque le masque qui cachait lhétérogénéité
du « mouvement » est tombé avec larrêt
des grèves par la satisfaction partielle de revendications,
les parties qui souhaitaient le continuer sen sont retrouvées
nues. Car on ne se bat pas ni par délégation, ni
parce quon se retrouve « ensemble » mais bien
parce que lon a, individuellement et collectivement
sur un lieu de travail par exemple des exigences qui, à
un moment et pour dix mille raisons qui font lhistoire de
la lutte des classes, doivent être satisfaites, sous peine
de régresser encore plus. On était certes «
ensemble », mais en laissant le « mouvement »
se baser sur larrêt des transports collectifs, on
se condamnait par avance à subir sa fin dès le début
de toute reprise du travail dans ce secteur. Aujourdhui,
leuphorie du « plus rien ne sera comme avant »
sest progressivement diluée dans la routine antérieure
de lexploitation et de la domination, avec en plus un ennemi
qui lui sest adapté et en a tiré
des leçons pour mieux nous écraser.
Laliénation, littéralement être rendu
étranger à soi [entfremdung], fut claire dans ce
« mouvement » par lillusion dun collectif
aux intérêts pourtant contradictoires (qui na
dailleurs trouvé sa synthèse que dans lopposition
à un bien vague « libéralisme ») qui
a produit un effet de suivisme plutôt que de profiter de
cette situation pour augmenter un rapport de forces dans notre
quotidien, soit une convergence des luttes et pas des seules revendications.
Elle lest aussi au sein du « mouvement anti-mondialisation
» qui reproduit des séparations autant quil
détruit des marchandises. On peut par exemple penser à
la division entre acteurs/trices et soutiens (avocats, porte-paroles,
intellectuels bourdivins, « journaflics indépendants
» comme Indymedia), acteurs/trices et spectateurs/ices (on
peut penser aux populations locales ou du quartier), acteurs/ices
et consommateurs/ices (en fonction des motivations). Mais il est
vrai également que ce phénomène est propre
à toute lutte et que leur succès est conditionné
à leur propre dépassement. De même, il ny
a pas de « centre exclusif de résistance »
ou de « subversion » et le mépris affiché
par certains spécialistes de laffrontement contre
les « gens ordinaires » fait fi des luttes quotidienne
invisibles au travail comme dans les quartiers, au niveau individuel
bien souvent, et parfois collectif.
Lensemble de ce qui précède, comme une sorte
dintroduction à ce qui pousse nombre de curs
à vif à sengager sur le chemin de la destruction
au gré des rapports de force, pose bien sûr aussi
dautres questions que la séparation, bien que celle-ci
nous semble importante puisquelle contient toute la problématique
de laction et donc dune partie de la vie, avec des
prolongements comme ceux que lEtat ne manquera pas de nommer
« terrorisme » si le « mouvement » samplifie.
La violence est de celles-là, tout comme la question du
prolétariat.
Une des critiques, contenue dans les textes de cette brochure,
concerne en effet ces affrontements comme étant le fait
dindividus qui viennent là pour se faire plaisir,
choisissant cette lutte à ce moment comme on choisirait
une marchandise en supermarché en fonction de ses qualités
supposées : y-aura-t-il du monde, connaît-on dautres
groupes prêts à saffronter, quelquunE
veut-il/elle écrire un texte pour justifier idéologiquement
notre présence, faut que je déplace mes rendez-vous
prévus, au fait cest quoi le thème, ... ?
Ces individus seraient détachés de tous les autres
et migreraient au gré des rendez-vous que leur proposent
les marionnettes en costard, ne choisissant ni les lieux, ni les
moments, sattachant aussi de fait à la publicité
qui est faite avant. Ainsi, il y avait avant le sommet des chefs
dEtat de Nice en décembre 2000 dans le même
coin, quelques semaines plus tôt, un sommet euro-méditerranée
dont lobjectif était dassurer à lEurope
de vastes zones dociles à sa périphérie,
mais il est passé inaperçu, bien que tout aussi
« important ». Cette médiatisation est notamment
le fait des gauchistes qui choisissent de « mobiliser »
en fonction de leur logique interne (comme avec les tentatives
de trains gratuits), les anarchistes et radicaux se plaçant
à chaque fois à la remorque de ces derniers, soit
pour jouer la mouche du coche, soit même en servant directement
leurs intérêts (sous forme dépouvantail
du type « si vous ne nous écoutez pas, voilà
ce qui arrive »). Les « militants anti-mondialisation
» seraient ainsi comme ces jeunes bourgeois branchés
qui se baladent au fil des rave party à travers tout le
pays, la différence résidant dans le type de plaisir
recherché, entre des hormones synthétiques ou naturelles.
Bien entendu, derrière tout cela, cest la question
de lappartenance de classe qui est posée, avec derrière
la vision du « prolétaire authentique » enchaîné
à son usine ou enfermé dans son immeuble, à
tourner en rond à force de ne pas trouver un acheteur de
sa force de travail. Mais le prolétariat est divers, et
certainement pas définissable par le seul critère
du salariat garanti. Cette vision oublie volontairement que la
pratique du salariat est elle-même souvent intermittente
pour beaucoup et quà moins dêtre allocataires
(bourse détude, subsides étatiques, pension
alimentaire,...), ce qui nen fait pas des riches pour autant,
les différents systèmes de débrouille comme
les vols ou les trafics peuvent facilement être assimilés
à du salariat. La richesse supposée résiderait
alors seulement dans celle de la disposition de temps, mais le
fait dêtre au chômage nexclut pourtant
pas soudainement lindividu du prolétariat ! De même,
on peut très bien se situer au sein du prolétariat,
vu en tant de produit dun rapport social (chaque individu
a les mêmes intérêts au sein dune classe
et est, dans lautre sens, exploité et dominé
par lautre classe), sans pour autant se revendiquer dune
identité collective, ou faire du prolétariat un
« sujet historique » au-delà des individus.
Ce serait alors plutôt lemploi de ce temps qui pousse
ces critiques marxisants à dénoncer la participation
à ces affrontements (avant Seattle, il y en eu bien dautres
comme le 18 juin 1999 à Londres ou en mai 1998 à
Genève) comme séparée de tout contexte, les
opposant aux émeutes qui se produisent régulièrement
dans les quartiers ou les zones pauvres et qui sont luvre
de prolétaires en guerre contre leur oppresseur direct
(le commissariat du coin, les équipements collectifs, les
structures de lEtat comme une école ou une Poste),
bien loin du « tourisme radical ». Mais, dune
part, labsence dimplantation fixe voire même
de pays il est parfois question de militants qui font par
exemple un an de lutte contre les routes en Angleterre, puis un
autre contre le nucléaire en Allemagne, etc. nen
fait pas pour autant des « professionnels » si ils/elles
vivent à lendroit où ils/elles luttent, même
de façon provisoire ; dautre part, tout dépend
de lobjectif recherché. Sil sagit de
profiter dun rassemblement de personnes pour obtenir un
rapport de force supérieur à celui du quotidien
et ainsi de porter des attaques plus grandes contre lEtat
et le capital comme ruiner un projet précis, cela sentend
bien. Par contre, le problème réside bien plus dans
la volonté affirmée de sopposer au capitalisme
dans son ensemble et dans celle de prétendre lutter en
soutien avec dautres personnes. A Paris, on peut ainsi voir
des militants multicartes qui butinent de luttes en luttes, toujours
« en soutien à », sur les sans-abris, les sans-papiers,
les chômeurs, les prisonniers ... Or, on ne lutte jamais
que pour soi-même, pour préserver sa liberté,
ce qui nempêche pas au contraire de
rejoindre dautres personnes en lutte, non pas pour apporter
un soutien ou prendre le contrôle de ces luttes, même
malgré soi, mais pour augmenter le rapport de force sur
un point partiel, et ce dans le but de le dépasser pour
lélargir, toujours sur ses propres bases. De la même
façon, les occupants dune usine ont plus de chance
de parvenir à leurs fins en en sortant ou en y faisant
rentrer dautres personnes plutôt quen sy
enfermant. Lors de la période des conseils ouvriers dans
lAllemagne des années 20, lune des forces (ce
ne fut pas toujours le cas) fut par exemple lorsque les ouvriers
sortaient pour prendre les villes... et plus si affinités
(3).
A ce titre, le danger de la séparation existe bel et bien
lorsquil sagit de luttes menées dans un contexte
précis et que de nouvelles personnes les rejoignent (dans
le cadre dune lutte locale, le rapport entre gens du cru
et arrivants est souvent conflictuel), mais cette critique ne
saurait être valable pour des affrontements comme Seattle
ou plus récemment Nice ou Davos, où lobjectif
est clairement pour nous de faire le maximum de dégâts.
Que le sommet se tienne ou pas a de toute façon bien peu
dimportance puisque dans le système capitaliste,
ces politiques et technocrates ont bien peu de pouvoir sur la
marche de léconomie. Il ny a pas de gigantesque
complot des multinationales ou des réunions à guichets
fermés de « grands dirigeants » du monde :
il sagit tout bêtement dun système économique
et donc social, le capitalisme, qui ne sincarne ni dans
les « 200 familles », ni dans lun ou lautre
des patrons de la Silicon Valley !
Le second point de cette même critique sur le prolétariat
réside dans la question de la production. Sil nest
pas question dabattre le capitalisme lors de grandmesses
rythmées par les affrontements contre la police ou la destruction
de propriété, on ne saurait toutefois éluder
dans ce but la question de la production, à la fois parce
que cette question est inévitablement à lordre
du jour (labsence de la grande partie des travailleurs lors
de ces événements) et parce le capital repose dabord
sur lexploitation du travail au niveau planétaire.
Mais de même quon ne saurait se passer de la prise
et de la destruction (jusquoù ?) de lappareil
de production et de fonctionnement de cette production (les moyens
de communication par exemple, routiers comme informatiques), on
ne saurait se passer daffrontements armés dans les
rues. A ce titre, des luttes qui partent de lusine ou des
rues sont forcément partielles et seul leur dépassement
et leur jonction pourra commencer à menacer le capital.
Quant aux individus, il nest pas dit que ceux/celles qui
se retrouvent dans la rue ne soient pas aussi des travailleurs,
ni que parmi les luttes en usines certainEs nen soient pas
!
Enfin, la question de la violence fut également posée
à partir de Seattle avec une dissociation immédiate
des citoyennistes, en pratique (protection des biens, balance
aux flics) et en communiqués. Des pratiques telles que
celles du Black Bloc sont notamment décriées parce
quelles imposeraient un mode de confrontation à des
personnes qui nen voudraient pas, cest-à-dire
un mode autoritaire daction directe. La protection des cibles
visées ou les attaques contre dautres manifestants
pour les livrer à la police, montrent les objectifs réels
des uns et des autres, tout comme le verrouillage des manifestations.
Les syndicats, pour ne prendre quun exemple, sapproprient
ainsi des manifestations, sous prétexte quils en
sont lorganisateur. Cette privatisation de la rue au motif
de rejet de méthodes dindividus extérieurs
à ceux qui collaborent avec les Préfectures (les
trajets sont par exemple négociés avec elle et signés
nominalement) montre la nature réelle de ce qui doit sy
passer : intégrer le cadre démocrate de la protestation
citoyenne : « vous pouvez tout dire mais ne bronchez pas
! ». On arrive alors à des argumentations du type
« Notre groupe a décidé (comment ?) que ceci
ou cela, et tout individu à côté ou en son
sein ne doit agir contre cette décision », ce qui
se traduit par des attaques contre les « casseurs »,
« taggeurs » ou autres de la part des gauchistes ou
des staliniens mais aussi parfois de la CNT-F ou de la FA (4).
Ces auxiliaires de police, au même titre que les journalistes,
refusent dun côté une « violence imposée
» et de lautre la pratiquent contre ceux-là
même quils dénoncent ! Pour nous, il est évident
que si manifestation il y a, toutes les pratiques sont possibles
et par tous/toutes, le respect de ceux qui en refusent certaines
est soit une complémentarité lorsquil y a
objectif commun (comme un blocage de site, voir Prague), soit
le départ de ces derniers, sils sont en désaccord
! La non-violence ne saurait pas plus simposer aux «
violents » que linverse.
Quant à parler de « violence », elle est bien
sûr légitime (et même si elle ne létait
pas, cest de toute façon la voie que choisissent
régulièrement les prolétaires dans la lutte
de classe) face à nos ennemis, et de toute façon
bien moindre que celle que nous subissons, y compris contre des
personnes car il ne sera pas dit que les dommages soient toujours
de notre côté. Un flic qui par exemple lance des
grenades à tir tendu dans une foule connaît les conséquences
de cet acte et sils ont choisi de défendre le camp
des oppresseurs pour lesquels la vie ne vaut que comme marchandise
jusquà épuisement et renouvellement de celle-ci,
ils subiront les conséquences de leurs choix. Il y a des
moments où les médiations sont dépassées,
lantagonisme se fait direct, et, lorsque volent les cocktail
molotov, il se peut très bien quun flic sen
trouve endommagé...
Lorsquon évoque « la violence » en manifestations
ou lors de rassemblements comme Seattle, se pose aussi la question
du virilisme, soit une violence physique masculine (qui peut être
portée par des hommes mais aussi par des femmes, bien moins
souvent) essentiellement démonstrative ce qui nexclut
pas lefficacité ! , cest-à-dire
en se plaçant sur le seul terrain de laffrontement
militaire avec les flics. Les « vertus » qui laccompagnent
sont par exemple le courage, la vantardise, les insultes sexistes
ou homophobes (« pédé», « enculé
» ou autres qui remettent en cause la virilité de
ladversaire genre « tas pas de couilles ! »),
soit tout un code de lhonneur tissé par le patriarcat
qui construit à la fois un comportement masculin et un
comportement féminin. Pour notre part, il ny a pas
de face à face qui tienne et doive être privilégié
sur ce qui peut être nommé « lâcheté
», comme lattaque par derrière ou en surnombre.
De même, la violence physique nentre pas dans une
échelle hiérarchique dont elle serait le sommet
et les attaques contre les biens sont tout aussi intéressants
(5), tout comme des sabotages qui valent bien des bastons (en
prenant soin déviter la séparation constituée
par la spécialisation, ce qui revient donc à privilégier
la reproductibilité des actes) ou des jets dobjets
divers et toutes autres formes plus imaginatives. Enfin, assimiler
laffrontement physique aux seuls hommes et femmes porteurs
de valeurs masculines, cest aussi contribuer à la
reproduction du patriarcat, soit ici le cloisonnement en actes
et comportements sexués. De la Commune de 1871 à
la guerre de classe en Espagne en 1936-37, bien des femmes
malgré les problèmes que cela a pu poser à
bien des hommes ont pris le chemin des armes. Cest,
au contraire, lemploi exclusif dune forme de violence
par les seuls porteurs de valeurs du masculin ou du féminin
quil faut éviter et dépasser par la réappropriation
par toutes et tous de tous les moyens à notre disposition
(6).
Pour finir sur la « bataille de Seattle », les victoires
ne me semblent pas être forcément les plus spectaculaires
laffrontement médiatisé et ritualisé
comme un exutoire à limpuissance quotidienne
mais sont plutôt qualitatives. On peut bien sûr se
déplacer à ces rendez-vous au gré de ses
désirs car ces moments là offrent aussi une perspective
collective qui brise des séparations, même ponctuellement,
mais la difficulté réside plutôt dans laffirmation
permanente de sa liberté, dessayer de tendre toujours
plus vers lunité de soi, malgré les aliénations,
et ce, dans le cadre dune survie toujours plus pénible.
Au travail comme dans son quartier, dans ses relations comme au
gré de balades urbaines sans autre but que de se perdre,
la lutte se construit autant à travers la conquête
de soi qui ne pourra être totale que lorsque tous
les individus abattront les chaînes qui nous sont communes
dans des situations aussi diverses quinattendues,
que par lassociation, le complot avec dautres individus.
Ici, à travers le maillage territorial de lEtat mêlé
à celui du capital, comme ailleurs, poussé par lenvie
de mettre en commun ses envies de construction/destruction avec
dautres pour les dépasser et mettre ses utopies en
actes. Individuellement ou collectivement, au sein du prolétariat,
nous luttons pour que la guerre de classe parvienne enfin à
se nier elle-même pour détruire avec elle toute société
(remplacée par lassociation de groupes et communautés,
plus ou moins étendues, associées ou isolées),
pour quadvienne un monde de femmes et dhommes libres
!
février 2001
(1) « Par lexploitation du marché mondial,
la bourgeoisie a organisé la production et la consommation
de tous les pays de manière cosmopolite. Au grand regret
des réactionnaires, elle a enlevé à lindustrie
sa base nationale » constatait déjà Marx en
1848 dans Le manifeste du parti communiste.
(2) Raoul Vaneigem, Traité de savoir-vivre à lusage
des jeunes générations, 1967, XXI « Les maîtres
sans esclaves ».
(3) Sur ce point entre des prolétaires itinérants,
qualifiés souvent de « bandits », et le choix
doccuper lusine puis den sortir ou pas, voir
par exemple Max Hölz, Un rebelle dans la révolution
(Allemagne 1918-1921), Spartacus, 1988.
(4) Dune part, lauteur parle ici dexpérience
vécue, dautre part on en trouvera un exemple sur
la Fédération Anarchiste dans Cette Semaine n°82,
jan/fév 2001, p.14 et sur la Confédération
Nationale du Travail - F (dite des Vignoles) dans Cette Semaine
n°80, mai/juin 2000, pp. 17-19.
(5) Les personnes qui se placent au travers de notre chemin ne
sont que des intermédiaires, plus que nuisibles dans leur
fonction et à ce titre des ennemis envers lesquels la pitié
ne simpose pas, mais cest bien la destruction des
structures qui verra leur perte. A ce titre, ces ordures et leurs
chefs se remplaçant comme de rien, ce sont bien ces dernières
qui font lobjet de nos attaques. Lacharnement gratuit
contre des personnes isolées relève souvent plus
de frustrations à défouler que defficacité
réelle.
(6) Pour commencer à sortir des genres, il faut dabord
en prendre conscience individuellement, pour y choisir ce quon
en garde et ce quon souhaite jeter (et là, cest
pas gagné pour autant !). Ceci conduit nécessairement
de lutter contre le patriarcat sur des bases autonomes : aux femmes
de sorganiser de façon indépendante (comme
par la non-mixité vue comme un moyen et non une fin, et
sur des bases de classe), aux hommes dentamer un travail
de déconstruction personnelle. Et à tous deux de
lutter ensemble pour la liberté de tous/toutes, car seule
cette dernière permettra de sortir des constructions genrées,
qui comme tout produit du capitalisme ne trouveront de solution
définitive seule satisfaisante quavec
sa destruction.
[Texte paru en introduction de la brochure "Anti-mondialisation",
activisme... & capitalisme, parue chez Mutines Séditions,
fév. 2001]