Troisième partie
C’est arrivé près d’chez nous


Cette dernière partie porte plus spécifiquement sur les aspects français du débat. On trouvera donc deux articles, l’un à propos du Monde Diplomatique et le second à propos de José Bové et de la messe dont il fut le grand prêtre à Millau. Mais, plus généralement, c’est la question du « citoyennisme » qui est au cœur de la contestation factice de l’ « antimondialisation » en france.

Ce mouvement qui pose comme sujet central « le citoyen » en lieu et place de l’ « ouvrier » (nous ne regrettons pas cette perte), qui remplace à la suite l’adjectif « social » par celui de « citoyen » émerge dans les années 80 avec l’apparition de SOS-Racisme — créé par l’Etat — venu saborder un mouvement autonome de banlieue, puis avec des associations comme Droit au Logement (DAL) ou AC! (Agir ensemble contre le chômage). Ce qu’elles ont en commun, c’est de poser l’Etat en interlocuteur privilégié sur lequel faire pression, pour qu’il applique la loi ou pour qu’il crée de nouveaux droits sous la pression de ces lobbies. Le cadre posé est donc la démocratie, au sein de laquelle on ne conteste ni l’Etat ni le Capital, qui est censée permettre tout dialogue et dans laquelle il n’y a plus de classes antagonistes mais des « regroupements de citoyens » abstraits qui agissent pour le bien commun.

A notre avis, le citoyennisme vient à la fois s’engouffrer dans l’absence de lutte de classe ouvertes et plus générales (au lieu d’être sectorisées), dans la demande des « classes moyennes » d’obtenir une légitimité politique et dans l’effondrement de médiations comme celles du parti communiste ou des syndicats, qui portaient auparavant cette pratique pacifiée des conflits sociaux. Ce « mouvement citoyen », et c’est là sa nouveauté, a su également récupérer des formes de luttes plus radicales — comme les occupations, certaines atteintes aux biens, les grèves sans préavis, les blocages de sites ou d’infrastructures publiques — tout en se limitant bien sûr à du symbolique et à un arrêt immédiat en cas de dialogue avec les autorités.

Pour les contrer, il y a bien sûr le nécessaire travail de critique (les deux derniers textes de cette partie y reviennent), mais il y a aussi la pratique. Quand tout discours est neutralisé de fait, ce sont les pratiques antagonistes qui montrent les limites « des citoyens » et surtout leur rôle au service de la paix sociale et des classes moyennes propriétaires. Lorsque la Confédération Paysanne souhaite contrôler les ravages de champs de plantes transgéniques, voire même dénoncer les coupables implicitement comme à Longué, c’est l’extension de pratiques sauvages de destructions revendiquées de façon claire qui font la différence et permettent de les dépasser. Lorsque le DAL et le CDSL (Comité des sans logis) tentaient de récupérer un mouvement auto-organisé de sans-abris en les faisant entrer dans un processus de contrôle individualisé (le traitement au cas par cas), c’est l’ouverture de squats sauvages (« on y est, on y reste ! ») qui fut tenté pour les dépasser.

A Nice ou à Prague, les « citoyens » se sont immédiatement dissociés des pratiques plus radicales d’affrontement avec les flics ou de la casse, comme ils ont invité à Porto-Alegre un ministre socialiste français en exercice et un Chevènement, ancien ministre de l’Intérieur. Mais, si leurs pratiques deviennent plus évidentes, ce n’est pas pour autant que l’ « esprit citoyen » qui se traduit par une défense de la démocratie (dialogue, délégation, régulation) et la gestion de la guerre sociale, va disparaître de si tôt. C’est plutôt l’affirmation de pratiques liées aux conditions de survie de la classe des exploités, qui a bien moins à perdre que les « citoyens » et leur « mouvement social », qui non seulement posera le cadre de la lutte sur le terrain où nous vivons — celui de la guerre de classe —, mais aussi opposera fondamentalement ceux/celles qui entendent perpétuer ce monde et ceux/celles qui entendent le détruire.