Bové
à Millau, sa tête sur un billot...
Millau 30 juin/1er juillet 2000.
La grande foire aux gauchistes a bien eu lieu. Et sa star, José
Bové, a rempli le rôle quon attendait de lui
: le gentil syndicaliste anti-mondialisation face à une
justice briefée davance. Il avait dès le départ
mis tous les atouts de son côté. Dans Télérama,
il expliquait que lopération démontage de
Mc Do sétait faite en collaboration avec les keufs
(voir ci-dessous). Quelques jours avant, il posait pour la postérité
à Montpellier main dans la main avec Charles Pasqua 1 tout
comme il avait serré la pogne du président de lOMC,
Mike Moore, avant Seattle. Des trains spéciaux et 540 cars
furent réservés davance par les syndicats
avec tarifs préférentiels tandis que des chanteurs
engagés (à défaut dêtre enragés)
du show-biz firent la claque pour ratisser plus large. Enfin,
la chorégraphie fut parfaite lorsque Bové et ses
acolytes sont arrivés au tribunal sous les clameurs de
la foule dans une charrette comme on va à la guillotine.
On attend encore le billot pour le bouffon.
La CNT-AIT avait lancé quelques jours avant un appel à
boycott et a distribué sur place un petit questionnaire
plutôt marrant (voir ci-dessous) tandis que ce procès
était le rendez-vous incontournable de toutes les chapelles
gauchistes sur fond de «refus de la mondialisation».
Quelques copains/copines ont tenu à sy rendre, histoire
de passer le temps.
Dans une gare parisienne, première frite avec le service
dordre syndical (en loccurence SUD Etudiant) afin
de prendre le train gratuitement. Sur place, cest la grandfoire.
Les citernes deau du camping situé à plusieurs
km sont sponsorisées par une marque de Roquefort, les bus
pour sy rendre sont payants et irréguliers, la ville
est devenue le lieu déchange de la marchandise-Bové
déclinée sous toutes ses formes : tee-shirts, bobs,
affiches, bibelots divers. Certains magasins affichent un logo
signalant quils participent pour loccasion à
la kermesse, incitation à consommer chez eux plutôt
que chez le méchant mondialiste dà côté.
Les médias ont dépêché leurs envoyés
spéciaux qui multiplient les directs tandis que quelques
socialistes sont réprimandés par une petite partie
de la foule. Les Verts, eux, nont aucun problème,
pas parce que leur ministre Voynet a autorisé la culture
des plantes transgéniques ou se fait complice des expulsions
de sans-papiers. Puis vint Bové dans sa charrette, le service
dordre (dont la CGT) se chargeant de repousser ceux/celles
qui ont voulu le suivre dans le Palais de justice. Tant pis pour
eux/elles. Le spectacle atteint enfin son apogée lorsque
le héros du jour fait reprendre par la foule rassemblée
pour le concert, poing levé, « liberté, égalité,
fraternité » à plusieurs reprises 2.
Alors que le capitalisme est mondialisé depuis bien longtemps
3, cette découverte permet dattirer des citoyens
en évitant surtout le mot «capitalisme» pour
le remplacer par celui de «mondialisation» dans la
lignée dATTAC. Lalternative proposée
va ainsi du vieux capitalisme national (rencontre Pasqua-Bové)
à un capitalisme plus ceci ou cela (moins financiarisé
ou plus étatique par exemple). Dans tous les cas, il nest
jamais question de lutte pour le mettre à bas, encore moins
en dehors des formes tolérées par la « démocratie
». Car lun des objectifs les plus évidents
du démontage du McDo de Millau le 12 août 99 fut
de présenter cet acte comme une action directe de sabotage,
le nec plus ultra du radicalisme (« voyez comme on a été
réprimés ! »)... en partenariat avec flics
et médias sur un symbole consensuel. Bové et trois
autres co-inculpés sur les dix nont
ainsi pas hésité à se revendiquer anarcho-syndicalistes
4. Mais leur action mène surtout à linsertion
de la contestation dans le carcan démocrate. Inutile dévoquer
des sabotages de la production, des pillages de magasins ou des
incendies de chantiers. Ainsi, pendant quun Black Bloc attaquait
la propriété privée à Seattle le 30
novembre 99, Bové se vantait davoir passé
«son roquefort» à la douane et ses amis américains
partisans de l « action directe » protégeaient
le magasin Nike et tentaient de livrer des camarades à
la police anti-émeutes.
Enfin, maintenant que le 13 septembre dernier le tribunal de Millau
la condamné à 3 mois fermes [ce quon
ne lui souhaite pas de faire, à lui ni à personne]
en attendant lappel en février 2001, on se souvient
de ses mots émus pour les prisonniers, il y a un an, à
sa sortie de taule, avant que des élus ne se penchent sur
ces lieux dextermination pour les réformer en faisant
de la société une vaste prison. Tout le monde en
cage, gardés par des syndicats revendicatifs et bien sûr
responsables, lobjectif des chefs de la Confédération
Paysanne 5 daller vers une agriculture raisonnable dans
une société policée a réussi à
rassembler plus de 50 000 personnes à Millau. Avec 19 %
des voix au niveau national en 1995, ce qui représente
5,8 millions de francs de subventions par le Fond national de
développement agricole, la Conf fera certainement
mieux aux prochaines élections en 2001.
Christophe Charon
1 Voir Libé du 21/6/00
2 Sur cette même grande scène, les femmes de la Confédération
Paysanne nont pas eu droit à la parole quelles
demandaient.
3 Si lon suit Braudel, cela remonte au XIIIe siècle,
sinon on pourra se contenter des colonisations à partir
du XVe.
4 Il sagit de Jean-Emile Sanchez, Gilbert Fenestraz et Léon
Fabrègues.
5 Sur la logique politique de ce syndicat, on lira notamment une
lettre doctobre 1999 rédigée par un adhérent,
Venant Brisset, parue dans Karoshi mural n°1 (disponible
au 21ter rue Voltaire - 75011 Paris) et René Riesel, Déclarations
sur lagriculture transgénique et ceux qui prétendent
sy opposer, éd. Encyclopédie des nuisances,
2000, 112 p.
[Article paru dans Cette Semaine n°81, octobre-novembre
2000, p 14]