Présence du Black Bloc à Washington...

Du 15 au 17 avril 2000, le FMI et la Banque Mondiale avaient prévu de se réunir à Washington. Et comme à Seattle l’an dernier, des milliers de manifestants s’y sont également rendus soit pour simplement protester, soit pour tenter de les en empêcher. On trouvera ci-dessous la traduction d’un compte-rendu des actions du Black-Bloc, tiré d’un journal hebdomadaire américain gratuit de Caroline du Nord (Asheville Global Report, n°66, 20-26/4/00) . Ce groupe, on s’en souvient, s’était attaqué à la propriété privée à Seattle, revendiquant ces actions. A Washington, il a plutôt privilégié la solidarité avec les autres manifestants et les attaques contre la police.

Masqués et vêtus de noir, le Bloc révolutionnaire anti-capitaliste ou «Black Bloc» s’est emparé des rues de Washington dans les premières heures de dimanche matin pour essayer de briser les réunions du FMI et de la Banque mondiale, et a commencé une bataille par escarmouches de deux jours contre une coalition des polices de Washington DC, celle de Virginie et du Maryland, la police fédérale, celle des services secrets et de la garde nationale. En une démonstration de solidarité avec les coalisés du mouvement anti-globalisation, la majeure partie du bloc anarchiste -souvent composée de plusieurs groupes de centaines de personnes- s’est déployée en une vaste escadrille volante, agissant de point chaud en point chaud, le long des lignes de blocages du DAN (Direct action network), aidant les activistes 1 menacés par la police. Criant «A qui sont les rues ? A nous !» et s’évertuant à le prouver, le Bloc a passé la matinée à se heurter aux positions de la police et parfois les a dépassé pour éviter les arrestations d’activistes bloqués et empêcher certains délégués d’atteindre la réunion à l’heure.

Pendant la matinée, ils ont soulevé et bougé des voitures garées, jeté des poubelles et tout ce qu’ils pouvaient trouver dans les rues pour bloquer les délégués et les mouvements de la police. Lors d’un incident au croisement de la 15e rue et de celle de New-York, les membres du Black Bloc ont chargé la police avec en formant une chaîne à l’aide d’une barrière de chantier, les repoussant plusieurs pâtés d’immeubles en arrière, au coin de la 14e et de la rue K, renvoyant des jets de gaz lacrymogène, gaz au poivre et des débris le long du chemin. Lors d’un autre incident sur la 21e rue, la police anti-émeute a chargé matraques au poing. Le Bloc s’est rapidement formé, repoussant les lignes de police jusqu’à la 22e rue, en utilisant des poubelles enflammées pour empêcher une autre charge policière.

Le dimanche après-midi, les membres du Black Bloc, maintenant plus d’un millier de personnes chantant «c’est à cela que ressemble l’anarchie, c’est à cela que ressemble la démocratie!» a entamé une marche victorieuse du centre ville jusqu’à Ellipse (quartier situé au sud de la Maison Blanche, NDLR), accompagnés par 10 000 participants à l’action directe, rejoignant ainsi les festivités de plus d’une dizaine de milliers de manifestants qui se trouvaient là, la plupart appartenant aux groupes de travailleurs (syndicats) et écologistes.

Dimanche soir, des éléments du Black Bloc se sont reformés autour de l’ambassade du Mexique, dans la partie nord de la ville, pour attirer l’attention sur le mouvement zapatiste et pour dénoncer les conditions d’exploitation inhumaines des entreprises mexicaines qui ont poussé le long de la frontière américano-mexicaine à l’aide de l’ALENA (accord de libre-échange Etats-Unis/Mexique, NDLR).

Qui étaient ces activistes vêtus de noir ? Les participants viennent principalement de villes américaines et du Canada, quelques autres du Mexique. Ils prennent leurs décisions lors de réunions au consensus rapide, ce qui vient de leur analyse que la hiérarchie mène à la corruption et à l’inégalité. Tous les membres du Bloc ne se définissent pas comme anarchistes et tous les anarchistes présents ne sont pas membres du Bloc. Ce sont des travailleurs et des membres de syndicats, des étudiants et des professeurs, des punks et des païens ( ? : «pagan» dans le texte original, NDLR), qui partagent l’idée que le capitalisme global et les institutions qui l’appliquent sur les gens de la planète sont les causes profondes de la pauvreté et de l’érosion de la démocratie planétaire.

Le lundi matin, la réponse policière aux manifestations de protestation s’est durcie. Lors de plusieurs incidents, la police a roulé sur des manifestants avec des véhicules blindés ou des motos. Plusieurs manifestants ont été blessés lorsque la police empêchait, avec les matraques, les protestataires d’aider une personne écrasée par une voiture de police. Des flics en civil entraient alors en action, utilisant des matraques pour frapper ces protestataires avant de disparaître des lieux. Les activistes étaient tirés à vue avec des cartouches à gaz lacrymogène et des douzaines d’arrestations furent effectuées. Lors d’un incident, le chef de la police de Washington, Ramesy, qui a passé son week-end à minimiser l’importance et la réalité des manifestations, a été forcé d’appeler de l’aide lorsque lui et plusieurs officiers furent entourés et que sa barrette à quatre étoiles située sur son épaule fut déchirée par les manifestants.

A la différence des atteintes à la propriété qui ont accompagnées les manifestations de Seattle 2, le Black Bloc a focalisé cette fois son énergie contre la répression policière sur les libertés constitutionnelles et laissé le centre ville commerçant largement tranquille. Lors d’un incident, les manifestants sont passés devant une filiale de Gap, une entreprise connue et dénoncée pour son exploitation intensive. Le magasin fut laissé tranquille puisque pendant ce temps plusieurs véhicules de police dans le coin étaient en train de se faire détruire.

Pourquoi tout ce tapage ? Les membres du Black Bloc et de nombreux activistes du mouvement anti-mondialisation étaient à Washington en raison de l’oppression que le FMI et la Banque Mondiale créent dans les pays du Tiers-Monde, et qui mène à la pauvreté, la famine et la misère. Ils se battent pour l’abolition de ces institutions, non leur réforme. L’un des membres du Bloc, qui se fait appeler Zap, explique : «ce que nous essayons de montrer c’est que l’anarchie est l’essence de la communauté. Les communautés sont en train d’être détruites partout dans le monde et nous tentons de leur montrer à quoi ressemble une communauté autonome : qu’elle est forte et qu’elle agit pour le bien des gens. Il y a des gens dans le Tiers-Monde qui ont pleuré aujourd’hui parce que nous avons pu exprimer les choses à haute voix. Nous sommes en train de construire un mouvement interracial, un mouvement des gens pour les gens».

Malgré le fait que les réunions du FMI et de la Banque Mondiale furent relativement peu perturbées par les manifestations, les effets de ces protestations sont clairs. La zone libre protégée par la police fut occupée par près de 90 blocs de personnes dans la zone du Capitole et les manifestants en ont brisé des douzaines d’autres. Plusieurs stations de métro ont été fermées à cause des manifestations et le service de bus était au mieux sporadique dans la zone du centre-ville. Le gouvernement a demandé aux employés fédéraux du district du Capitole de rester chez eux lundi, ce qui l’a effectivement gêné et lui est revenu très cher. Plusieurs bureaux et centres commerciaux du centre ville sont restés fermés. Des centaines de milliers de dollars ont été dépensés en heures supplémentaires par les services de police de même que des dizaines de milliers de dollars en équipement furent détruits. «Nous avons gagné», a déclaré Han Shan, un manifestant anti-FMI/Banque Mondiale, «ils ont dû militariser leur ville pour pouvoir tenir leurs réunions» 3.

August Spies, 24/4/00

(texte diffusé sur la liste tlc -http://tranquillou.free.fr/- et tiré lui-même du site américain : www.agrnews.org. du journal de Nashville. Traduction de l’anglais pour CS, Christophe Charon)

1 Le texte dit «locked-down activists». Il s’agit d’une technique où les personnes s’attachent soit entre elles soit à des objets à l’aide de lock-down, des sortes d’antivols à vélo en forme de U (il existe différentes sortes de lock-down). Cette technique est utilisée notamment par le DAN et la mouvance écologiste-activiste.
2 En novembre 1999, voir CETTE SEMAINE n°79, avec un texte explicatif d’une des sections du Black Bloc. Ce texte est désormais disponible en brochure auprès des éditions Turbulentes : Nun Enlitigas Mi - c/o CALM - BP 50281 - 57108 Thionville cedex - France).
3 Cet objectif est complètement ridicule mais c’est une phrase que prête le journaliste à un manifestant. Nous n’avons pas trouvé à ce jour de texte émanant directement du Black Bloc.

Plusieurs personnes arrêtées à Washington luttent collectivement... et sortent de prison

156 personnes arrêtées durant les manifestations du 16-17 avril au sommet du FMI/Banque Mondiale ont été relâchées de prison. En pratiquant la «solidarité en prison», elles ont réussi à être libérées avec seulement une amende à payer et aucune charge criminelle contre elles.
La capitulation des autorités fur le résultat d’une opération planifiée de «solidarité en prison», où les prisonniers dissimulent leur nom en exerçant le droit de garder le silence (garanti par le 5e amendement de la Constitution) et en perturbant le système avec un refus de coopération unitaire.
Un collectif d’avocats était prévu pour les défendre (composé du DAN, et qui a obtenu l’abandon de charges contre près de 600 personnes arrêtées lors du sommet de l’OMC), et ce dernier a négocié avec le district de Columbia et le bureau du procureur général. Le consensus auquel ils ont abouti a été accepté par les prisonniers. Il comprend un abandon de charges et une amende individuelle de 5$. Les autorités ont insisté pour que tous les arrêtés donnent un nom mais sans vérification d’identité. De plus, l’accord prévoit d’être rétroactif pour toutes les personnes arrêtées lors de ces manifestations, qui n’ont pas encore été condamnées et qui donneront leur nom.
Rappelons que près de 1300 personnes ont été arrêtées lors de ce long week-end d’avril.