Les événements du vendredi 19 novembre 99, la nuit de la visite de Clinton à Athènes, Grèce


Au départ, la visite était prévue pour deux jours seulement, les 13 et 14 novembre, mais elle fut reportée. Finalement, la visite de Clinton fut réduite à un petit tour de 24 heures le 19 novembre à Athènes, après sa visite en Turquie et sa participation au sommet de l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe).

La manifestation contre l’ambassade américaine, prévue avant l’arrivée de Clinton, fut interdite par le gouvernement qui décida de créer un périmètre de sécurité comprenant une grande part de la ville d’Athènes et dans laquelle ne pouvaient pénétrer que les personnes munies d’autorisation, et ce durant tout le temps de la visite de Clinton. Les organisateurs de la manifestation, principalement le parti communiste grec, passé maître dans la manipulation des luttes et dans la coopération avec la police contre les jeunes incontrôlés et les anarchistes pendant les manifestations, protesta contre cette décision « anti-démocratique », déclara qu’il ne l’accepterait pas et garantit qu’il se chargerait lui-même de « contenir » les manifestants ! Leur position repose sur un anti-américanisme patriotique qui parle des intérêts nationaux de la Grèce contre la Turquie et présente l’ennemi comme n’existant que de l’autre côté de l’Atlantique, fabriquant ainsi une image de la Grèce comme une pauvre victime du nouvel ordre mondial. Des deux côtés du régime et de l’Etat, celui du gouvernement et de l’opposition constituée par le parti communiste (qui n’est en fait qu’une extension et un support du premier côté), il y a un besoin commun, celui de supprimer toute résistance réelle. Pour le gouvernement il est important de prouver qu’il a la capacité d’assurer la sécurité et d’imposer des ordres, pour les autres il est important d’incarner et de représenter une opposition simulée et manipulée (dans son contenu et ses méthodes), qui ne menace pas en fin de compte les intérêts de l’Etat grec mais qui au contraire suscite l’adhésion à ces derniers par le biais de « luttes ».

De l’autre côté, les anarchistes, les anti-autoritaires, la jeunesse, les prolétaires, les chômeurs, les exclus de leur nouveau monde, ceux qui souffrent et résistent à la réalité capitaliste qu’on leur impose, n’avaient aucune raison d’aller défiler spécialement contre l’ambassade américaine. Nous n’avions aucune raison d’en vouloir spécifiquement à Clinton et de pleurer sur l’interdiction de la manifestation, d’autant plus que tout ce qui représente, préserve et appartient au Nouvel ordre mondial allait nous entourer. L’impérialisme n’est pas uniquement situé aux Etats-Unis. L’Etat grec et le Capital sont aussi membres du bloc impérialiste et ils sont là : le développement de l’économie nationale, la puissance des entreprises, la répression contre les révolutionnaires et tous ceux qui résistent, le contrôle et la surveillance, la chasse aux immigrés, les relations autoritaires d’une société colonisée par l’Etat et l’existence d’une société d’exclus. La visite de Clinton était pour nous l’occasion d’occuper les rues, de détruire ce qui est une cible quotidienne, de révéler et ruiner le conflit factice qui était programmé entre les deux faces du régimes, un show qui serait dommageable pour ses deux côtés. Il s’agissait d’un moment supplémentaire de la lutte et une opportunité de présenter notre programme politique pour l’avenir : le feu. Notre cible était le centre d’Athènes, non pas un champ neutre mais bien un terrain hostile. Nous n’avions pas l’intention d’épargner notre rage à cette métropole avec ses immeubles et entreprises étatiques, ses quartiers commerciaux et financiers, ses symboles et ses gardiens. Nulle intention de respecter les « intérêts nationaux ». Nous ne ferions rien d’autre qu’être une fois de plus l’ennemi intérieur au cœur de la Bête, comme la seule façon de briser l’ennemi dans son apparition la plus exclusive, dans le pays où nous vivons, comme la meilleure façon d’envoyer un message de solidarité internationale à tous nos camarades qui luttent contre le Nouvel ordre de la domination et de la paix sociale à travers le monde, en Turquie, dans les autres métropoles européennes, aux Etats-Unis comme partout.

A environ 17 heures le 19 novembre, les gens ont commencé à se rassembler au centre-ville d’Athènes. Sur la place Syntagma, devant le Parlement, une forte concentration de forces de police stationnait pour interdire l’accès à la rue V. Sofias, qui donne sur l’ambassade américaine et la résidence présidentielle. Le rendez-vous pour les membres du Parti communiste se situait précisément place Syntagma. Un autre rassemblement de partis et organisations de gauche se tenait à Propilea, deux rues avant Syntagma. Leur idée était de marcher pacifiquement jusqu’au square Syntagma puis de rester derrière le rassemblement du parti communiste. Les anarchistes et les anti-autoritaires ont commencé à se rassembler également place Propilea, provoquant un sentiment d’insécurité parmi les gauchistes, qui aiment crier des slogans tels que « L.A.-L.A.-fuck the USA » mais ne ressentent pas la même chose à propos de ce qui se passe dans leur propre ville. Pour notre part, nous lancions des slogans comme « la solidarité est l’arme du peuple — guerre à la guerre des patrons » et des slogans en solidarité avec Nikos Maziotis, un camarade anarchiste en prison depuis janvier 1998 condamné récemment à une peine de 15 ans fermes pour avoir placé une bombe au ministère de l’Industrie et du Développement et qui a pris la responsabilité de cette action. Nous lancions aussi des slogans à la mémoire de Christoforos Marinos, un anarchiste assassiné par la police en juillet 1996. Sur certains bâtiments, il était marqué à la bombe : « les rues nous appartiennent ». En marchant vers la rue Stadiou, des anarchistes ont commencé à ramasser du matériel comme des pierres, des briques et des barres sur un chantier voisin.

(Comme nous l’avons dit précédemment, notre intention de brûler et détruire le centre commercial de la ville n’était pas liée à l’interdiction « anti-démocratique » de la manifestation, elle n’était pas non plus sur une quelconque « défense » face à la brutalité policière. Au contraire, on agissait dans une perspective politique antagoniste aux deux conceptions précédentes. Mais le fait que le parti communiste et le gouvernement aient été piégés par leurs propres négociations (comme si c’était une manière de prouver leur pouvoir) a créé une faiblesse passagère dans leur coopération. Le spectacle de la mésentente entre eux, qui fut justifié par les deux camps, ne leur a pas permis d’exercer une répression commune).
A 18h30, l’avion de Clinton a atterri à l’aéroport d’Athènes. Le parti communiste a envoyé environ une centaine de ses membres à une bataille perdue d’avance pour enfoncer les troupes de la police anti-émeute qui gardaient le Parlement. La police les aspergea alors de gaz lacrymogène et ils s’enfuirent en courant. Les responsables du parti demandèrent alors à leurs milliers de sympathisants de s’asseoir par terre pour protester. C’est comme cela qu’ils espéraient que les choses se finiraient, de façon tranquille et insignifiante.

Deux rue plus loin, environ 200 ou 300 anarchistes et jeunes, portant des cagoules, armés de cocktail molotov et de pierre brisaient la vitrine de la première banque de la rue Panepistimiou. Un court instant plus tard, la banque était en feu. Dans les deux principales rues d’Athènes menant à Syntagma, Panepistimiou et Stadiou, et aussi dans les petites rues menant aux précédentes, au cœur du « quartier gouvernemental et commercial », les banques furent détruites une à une au son de slogans anarchistes. La banque centrale de Grèce et les banques étrangères ont été brisées puis brûlées, les magasins de luxe, les agences et les immeubles des grandes entreprises, les bijouteries, tous devinrent des cibles. Des barricades furent montées dans la rue Panepistimiou en utilisant des bennes à ordures et des cocktails molotov furent balancés sur la police anti-émeutes chaque fois qu’elle tentait d’approcher. Les rues s’illuminèrent grâce aux magasins en feu et les personnes attaquées se sont dispersées au loin. Un groupe de civils fut détecté et frappé sur place. La rue Panepistimiou fut occupée majoritairement par les révoltés. Sur la rue Stadiou, le bloc de gauchistes et les partis politiques battaient en retraite sous les gaz lacrymogènes dans la direction opposée de Syntagma, vers Omonia. Partout autour d’eux, des anarchistes détruisaient et mettaient le feu aux banques et aux magasins. Ils attaquaient aussi à coups de pierres le Ministère de l’Economie et les flics qui le protégeaient. Au bout d’une heure et parce que les deux rues étaient en feu, le bloc de gauchistes et de partis arrivaient à Omonia et les manifestants quittèrent la scène pour rentrer chez eux. Au contraire, les personnes qui se battaient avec la police et détruisaient le centre capitaliste se sont séparés en petits groupes dans différentes directions pour continuer ce qu’ils avaient à faire. Un groupe attaqua la Bourse des valeurs, des banques, et mis le feu devant la Bourse. Un autre groupe s’en alla rue Pireos et détruisit ou brisa avec des pierres et des barres de fer le Ministère du Travail, les bureaux du SYN (parti politique de centre-gauche), l’IKA (l’institut de sécurité sociale), l’OAED (équivalent de l’ANPE), et brûla des voitures d’Etat, une Mercedes appartenant à un diplomate, d’autres voitures de riches, plusieurs banques et magasins de ventes de voitures, une Poste. Loin du centre, ils attaquèrent un véhicule de police, où les policiers à l’intérieur furent bloqués un petit bout de temps. Un autre groupe s’en fut au square Exachia et mit le feu à des bennes à ordure, ce qui servit de diversion pour des forces de police qui avaient à chasser des gens dans tout le centre d’Athènes et son voisinage, incapables de les localiser tous vu qu’ils bougeaient constamment, laissant derrière eux « la terre brûlée ». Les émeutes prirent fin au bout de deux heures, laissant le centre d’Athènes désespérément ruiné en ayant causé des dommages aux principaux immeubles-cibles, politiques et économiques, en plusieurs endroits : rue Patision, rue Alexandras à côté de la Faculté d’Economie, mais aussi dans des banlieues éloignées du centre-ville.La police a arrêté environ 40 personnes, la plupart d’entre elles membres de partis ou organisations et attrapées à l’intérieur de magasins où elles se servaient. Elles reconnurent les accusations mais furent libérées quelques jours après. Trois jeunes, non membres d’un parti politique, furent arrêtés et emprisonnés, précisément parce non-membres de ces organisations, et se trouvent maintenant dans une prison pour mineurs à l’extérieur d’Athènes (1).

La lutte contre l’Etat et le Capital continue. Solidarité avec les révoltés de Seattle et Londres.

décembre 1999

(1) Ils furent finalement libérés sous caution jusqu’au jugement, en janvier 2000.

[Ce texte, traduit en français pour cette brochure à partir de sa version anglaise, a été distribué sur a-news en décembre 1999]

Encadré :

Quelques jours après, une affiche couvrait les rues d’Athènes :

L’ordre règne mais ne fait pas la loi

« Autorités de la planète » — employés du capital multinational,
Représentants locaux du nouvel ordre mondial,
Patriotes anti-américains qui cherchent des parts de pouvoir à l’aide de manifestations pacifiques pré-électorales et d’affrontement simulés,
Gardes en uniformes du régime, banquiers et entrepreneurs,
TOUS SONT DES EXPRESSIONS DU MONDE CAPITALISTE ET ILS TOUS ONT UN ENNEMI COMMUN : CEUX QUI SE BATTENT POUR LA SUBVERSION SOCIALE, POUR LA LIBERTÉ
Vendredi 19 novembre, le jour de la visite de Clinton à Athènes. L’aspiration commune du gouvernement et des partis politiques est de contrôler les manifestations, pour maintenir l’ordre et préserver « les intérêts nationaux ».
Les anarchistes, les prolétaires et les jeunes se sont attaqués aux temples du capital et de la marchandise (la bourse du commerce, des ministères, des banques et des magasins de luxe) et aux gardiens de la classe dirigeante, ceci comme une action de résistance contre l’Etat grec et le Capital et précisément au bloc impérialiste auquel il appartient, comme une action de solidarité avec tous ceux qui se battent pour la liberté partout dans le monde, envoyant le message que LES PUISSANTS NE SONT PAS INVULNÉRABLES.
La résistance au nouvel ordre de domination, ce sont les révoltes de classe !

Anarchistes solidaires