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LACTIVISME !
Un des problèmes apparent lors de la journée
daction du 18 juin 99 a été ladoption
dune mentalité dactiviste. Ce problème
est devenu particulièrement évident avec ce 18 juin
précisément parce que les personnes qui se sont
investies dans son organisation et celles qui ont participé
à cette journée ont essayé de repousser ces
limites. Ce texte nest pas une critique sur des personnes
investies mais plutôt une occasion qui inspire des
réflexions sur les enjeux auxquels nous sommes confrontés
si nous voulons sérieusement en finir avec le mode de production
capitaliste.
Experts
Par « une mentalité dactiviste », je
veux désigner les gens qui se considèrent eux-mêmes
dabord comme activistes et comme appartenant à une
large communauté dactivistes. Lactiviste sidentifie
à ses actions et les conçoit comme le rôle
quil doit jouer dans la vie, comme un travail ou une carrière.
De même, certains sidentifient à leur travail
comme médecin ou enseignant, cela devient une part essentielle
de leur image de soi au lieu dêtre seulement quelque
chose quil leur arrive de faire.
Lactiviste est un spécialiste ou un expert du changement
social. Se considérer comme activiste signifie se considérer
comme privilégié ou plus avancé que les autres
dans lappréciation du besoin de changement social
et de la manière dy parvenir ; se considérer
comme lavant-garde de la lutte concrète pour créer
ce changement.
Lactivisme, comme tout rôle dexpert, est basé
sur la division du travail cest une tâche séparée
et spécialisée. La division du travail est le fondement
de la société de classes, la division fondamentale
étant celle entre le travail manuel et le travail intellectuel.
La division du travail est par exemple présente dans la
médecine et léducation : guérir et
élever des enfants, au lieu dêtre des savoirs
communs et des tâches auxquelles chacun participe, deviennent
la propriété spécialisée de médecins
et denseignants des experts sur lesquels nous devons
nous reposer et qui effectuent ces choses pour nous. Les experts
gardent jalousement les capacités quils ont et les
mystifient Cela maintient les gens séparés et dépossédés
de leur pouvoir, tout en renforçant la société
de classes hiérarchisée.
La division du travail implique quune personne endosse un
rôle et que beaucoup dautres lui délèguent
leur responsabilité. Une séparation des tâches
signifie que dautres vont cultiver votre nourriture, fabriquer
vos habits et vous procurer de lélectricité
pendant que vous vous occupez de réaliser le changement
social. Lactiviste, en tant quexpert du changement
social, présume que les autres gens ne font rien pour changer
leurs vies et ainsi se sent un devoir ou une responsabilité
de le faire à leur place. Les activistes pensent quils
compensent le manque dactivité des autres.
Nous définir comme activistes signifie définir «
nos » actions comme celles qui vont amener le changement
social, en faisant limpasse sur lactivité de
milliers et de milliers dautres non-activistes. Lactivisme
est basé sur la fausse conception quil ny a
que les activistes qui produisent le changement social
alors que bien sûr la lutte des classes se produit tout
le temps.
Forme
et contenu
La tension entre la forme d « activisme » dans
laquelle notre activité politique apparaît et son
contenu toujours plus radical sest développée
seulement durant ces quelques dernières années.
Le background de beaucoup de gens impliqués dans le 18
juin est dêtre des « activistes » qui
font des « campagnes » sur des « thèmes
». La scène activiste sest transformée
ces dernières années ; beaucoup de gens sont passés
de campagnes sectorielles contre les entreprises ou des développements
spécifiques à une perspective anticapitaliste plus
floue. Ainsi, le contenu de lactivisme a changé,
mais pas sa forme. Au lieu dattaquer Monsanto et doccuper
leurs quartiers généraux, nous regardons maintenant
au-delà de la facette isolée du capital représentée
par Monsanto et développons une « campagne »
contre le capitalisme. Et que peut-on occuper de mieux que ce
qui est perçu comme le quartier général du
capitalisme la City ?
Nos méthodes sont toujours les mêmes, comme si nous
attaquions une entreprise ou un développement spécifique,
alors que le capitalisme nest plus du tout du même
type et que les moyens par lesquels on pourrait faire tomber une
compagnie spécifique ne sont pas du tout les mêmes
que ceux par lesquels on pourrait faire tomber le capitalisme.
Par exemple, en menant de vigoureuses campagnes pour les droits
des animeaux, les activistes ont réussi à ruiner
à la fois les éleveurs de chiens Consort et les
éleveurs de chats Hillgrave Farm. Leurs business ont été
ruinés et ils ont été mis en liquidation
judiciaire. De même, la campagne soutenue contre Huntingdon
Life Sciences, des partisans convaincus de la vivisection, a réussi
à réduire le prix de leur action de 33 %, mais lentreprise
vient de réussir à survivre en lançant une
campagne de relations publiques désepérée
à la Bourse pour remonter les cours 1. Lactivisme
peut ruiner une entreprise avec beaucoup de succès, mais
détruire le capitalisme requiert beaucoup plus que de simplement
étendre ce genre de méthode à chaque entreprise
dans chaque secteur. De même, lorsque les activistes des
droits des animaux prennent pour cible les boucheries, le seul
résultat direct est probablement daider les supermarchés
à faire fermer toutes les petites boucheries, ce qui renforce
le processus de compétition et de « sélection
naturelle » du marché. Ainsi, les activistes parviennent
souvent à détruire un petit commerce, mais renforcent
en même temps globalement le capital.
La même chose sapplique à lactivisme
contre les routes. Les luttes à grande échelle contre
les routes ont créé des débouchés
pour tout un nouveau secteur du capitalisme la sécurité,
la surveillance, des experts, des tunneliers et des grimpeurs,
des consultants. Nous sommes maintenant un « risque du marché
» parmi dautres à prendre en compte pour conclure
un contrat de route. Nous avons peut-être renforcé
la loi du marché, en forçant les entreprises les
plus faibles à abandonner le marché. La consultante
Amanda Webster affirme : « Les mouvements de protestation
vont fournir des avantages de marché aux entreprises qui
peuvent efficacement les maîtriser » 2. A nouveau,
lactivisme peut mettre en faillite un commerce ou stopper
une route, mais le capitalisme continue, plus fort quauparavant
Ces choses sont certainement une indication, si besoin est, de
ce quattaquer le capitalisme ne requiert pas seulement un
changement quantitatif (plus dactions, plus dactivistes),
mais surtout un changement qualitatif (nous devons découvrir
des manières plus efficaces dagir). Il semble que
nous navons quune très petite idée de
ce que requiert en fait la destruction du capitalisme. Comme sil
suffisait de parvenir à une sorte de masse critique dactivistes
occupant des bureaux pour avoir une révolution...
La forme de lactivisme a été conservée
alors que le contenu de son activité sest transformé
au-delà de la forme qui le contenait. Nous continuons à
penser en termes d « activistes » faisant une
« campagne » sur un « thème »,
et parce que nous sommes des activistes pratiquant l «
action directe », nous allons « faire une action »
contre notre cible. La méthode de campagne contre des développements
spécifiques ou des entreprises isolées a été
transplantée telle quelle sur ce nouvel objet quest
lattaque du capitalisme. Nous tentons dattaquer le
capitalisme et de conceptualiser ce que nous faisons dans des
termes complètement inappropriés, en utilisant des
méthodes qui sont celles du réformisme libéral.
On a ainsi le spectacle bizarre de « faire une action »
contre le capitalisme une pratique profondément
inadéquate.
Rôles
Le rôle de l « activiste » est un rôle
que nous adoptons tout comme celui du policier, du parent ou du
prêtre une forme psychologique étrange que
nous utilisons pour nous définir et pour définir
notre relation à lautre. L « activiste
» est un spécialiste ou un expert en changement social
plus nous nous accrochons à ce rôle et à
la notion de ce que nous sommes, plus nous empêchons en
fait le changement que nous désirons. Une vraie révolution
impliquera de sextraire de tous les rôles préconçus
et de détruire tous les spécialismes la réappropriation
de nos vies. Lacte de la révolution est la prise
de contrôle de nos propres destinées ; il impliquera
la création de nouveaux individus et de nouvelles formes
dinteraction et de communautés. Les « experts
» en tous genres ne peuvent que lempêcher.
LInternationale Situationniste a développé
une critique stricte des rôles et en particulier du rôle
du militant. La critique des situationnistes était surtout
dirigée contre les idéologies de gauche et social-démocrates
parce que cétait ce à quoi ils étaient
principalement confrontés. Bien que ces formes daliénation
existent toujours, nous sommes, dans notre milieu particulier,
plus souvent confrontés à lactiviste libéral
quau militant gauchiste. Ils partagent toutefois beaucoup
de traits en commun (ce qui bien sûr nest pas étonnant).
Le situationniste Raoul Vaneigem définit ainsi les rôles
: « Les stéréotypes sont les images dominantes
dune période... le stéréotype est le
modèle du rôle ; le rôle est un comportement
modèle. La répétition dune attitude
crée un rôle ». Jouer un rôle signifie
cultiver une apparence en négligeant toute authenticité
: « Nous succombons à la séduction dattitudes
empruntées ». En tant que joueurs de rôles,
nous résidons dans linauthenticité
en réduisant nos vies à une suite de clichés
« transformant notre journée en une suite
de poses choisies plus ou moins inconsciemment parmi la gamme
des stéréotypes dominants » 3. Ce processus
a été à luvre depuis le tout
début du mouvement contre les routes. A Twyford Down après
Yellow Wednesday en décembre 1992, la presse et la couverture
médiatique se sont focalisées sur la tribu Dongas
et laspect contre-culture dreadlocks des protestations.
Cétait certainement à lorigine lélément
prédominant il y avait par exemple un important
groupe de nomades lors de lévacuation 4. Mais les
gens attirés à Twyford par la couverture médiatique
pensaient que tous ceux qui étaient là-bas avaient
des dreadlocks. La couverture médiatique a eu pour effet
déloigner les gens « ordinaires », et
plus de gens du style contre-culture dreadlocks sont venus, réduisant
ainsi la diversité des protestataires. Plus récemment,
une chose similaire sest produite quand les gens attirés
sur les lieux de protestations par la médiatisation de
Swampy quils avaient vu à la télévision
commencèrent à reproduire dans leurs propres vies
les attitudes présentées par les médias comme
étant caractéristiques du rôle de «
guerrier écologiste » 5.
« Tout comme la passivité du consommateur est une
passivité active, de même la passivité du
spectateur repose dans sa capacité à assimiler des
rôles et à les jouer en accord avec les normes officielles.
La répétition des images et des stéréotypes
offre une panoplie de modèles dans laquelle chacun est
supposé choisir un rôle » 6. Le rôle
du militant ou de lactiviste nest que lun de
ces rôles, et cest en cela quil est conservateur
malgré toute la rhétorique révolutionnaire
qui laccompagne.
Lactivité prétendument révolutionnaire
de lactiviste est une routine terne et stérile
une constante répétition de quelques actions sans
potentialité de changement. Les activistes résisteraient
probablement au changement sil se produisait parce quil
briserait les certitudes faciles de leurs rôles et la jolie
petite niche quils se sont creusée pour eux-mêmes.
Comme les chefs syndicaux, les activistes sont déternels
représentants et médiateurs. Tout comme les dirigeants
syndicaux qui seraient contre les travailleurs victorieux dans
leur lutte parce que cela les priverait de leurs fonctions, le
rôle de lactiviste est menacé par le changement.
En effet, la révolution, ou même nimporte quel
mouvement réel dans cette direction, troublerait profondément
les activistes en les privant de leur rôle. Si « tout
un chacun » devient révolutionnaire, alors vous nêtes
plus si spéciaux, nest-ce pas ?
Pourquoi nous comportons-nous comme des activistes ? Seulement
parce que cest loption facile des lâches ? Il
est facile de tomber dans le rôle de lactiviste parce
quil convient à cette société et ne
la défie pas lactivisme est une forme acceptée
de divergence. Même si comme activistes nous faisons des
choses qui ne sont pas acceptées ou illégales, la
forme même de lactivisme, par sa similitude avec un
emploi, sajuste à notre psychologie et à notre
éducation. Elle est attirante précisément
parce quelle nest pas révolutionnaire.
Nous
navons plus besoin de martyrs
La clé de compréhension du rôle du militant
et de celui de lactiviste est le sacrifice de soi
le sacrifice de soi à « la cause» qui est perçue
comme étant séparée du soi. Cela na
bien entendu rien à voir avec la vraie activité
du révolutionnaire qui est la saisie du soi. Le martyre
révolutionnaire va de pair avec lidentification dune
cause séparée de sa propre vie une action
contre le capitalisme qui identifie le capitalisme comme étant
« là-bas » dans la City est une erreur fondamentale
le pouvoir réel du capitalisme est ici même
dans nos vies quotidiennes nous recréons son pouvoir
chaque jour car le capital nest pas une chose mais une relation
sociale entre des gens (et donc entre des classes) médiatisée
par les choses.
Bien sûr, je ne suis pas en train de suggérer que
chaque personne impliquée dans laction du 18 juin
adopte ce rôle et le sacrifice de soi qui laccompagne
avec la même intensité. Comme je lai dit tout
à lheure, le problème de lactivisme
est apparu de manière particulièrement criante dans
laction du 18 juin précisément parce que cétait
une tentative de sortir de ces rôles et de nos pratiques
habituelles. La plupart de ce qui est souligné ici est
un « scénario du pire », de ce à quoi
peut conduire le rôle de lactiviste. Dans quelles
proportions nous pouvons reconnaître ceci dans notre propre
mouvement nous donnera une indication sur la quantité de
travail quil reste à faire.
Lactiviste rend la politique terne et stérile et
en éloigne les gens, mais jouer ce rôle détruit
aussi lactiviste lui-même. Le rôle de lactiviste
crée une séparation entre les fins et les moyens
: le sacrifice de soi signifie créer une division entre
la révolution comme amour et joie dans le futur mais devoir
et routine maintenant. Lactivisme dans sa globalité
est dominé par la culpabilité et le devoir parce
que lactiviste ne se bat pas pour lui-même mais pour
une cause séparée : « Toutes les causes
sont également inhumaines » 7.
En tant quactiviste, vous devez nier vos propres désirs
parce que votre activité politique est définie de
telle sorte que ces choses ne sont pas considérées
comme « politiques ». Vous mettez la « politique
» dans une boîte séparée du reste de
votre vie cest comme un travail... vous faites de
la politique de 9 heures à 17 heures puis vous rentrez
à la maison pour faire autre chose. Parce quelle
est dans cette boîte séparée, la « politique
» existe sans être gênée par aucune considération
pratique defficacité. Lactiviste se sent obligé
de constamment sattacher à la vieille routine sans
penser, incapable de sarrêter ou dexaminer,
le principal étant que lactiviste soit toujours occupé
et assouvisse sa culpabilité en se frappant la tête
contre un mur de briques si nécessaire.
Savoir quand sarrêter et attendre peut faire partie
de lactivité révolutionnaire. Il peut être
important de savoir comment et quand faire grève pour le
maximum defficacité, mais aussi comment et quand
NE PAS faire grève. Les activistes ont cette attitude du
« nous devons faire quelque chose MAINTENANT ! » qui
semble nourrie par la culpabilité. Ceci nest pas
du tout tactique.
Le sacrifice de soi du militant ou de lactiviste est reflété
dans son pouvoir sur les autres en tant quexpert
comme en religion, il y a une sorte de hiérarchie de la
souffrance et de la droiture. Lactiviste prend du pouvoir
sur les autres en vertu de son haut degré de souffrance
(les groupes activistes « non hiérarchisés
» forment de fait une « dictature des plus impliqués
»). Lactiviste utilise la crcition morale et
la culpabilité pour régir ceux qui sont moins expérimentés
dans la théologie de la souffrance. Leur propre subordination
va de pair avec la subordination des autres tous esclaves
de « la cause ». Les politiciens qui se sacrifient
forcent leur propre vie et leur volonté de vivre
cela génère une amertume et une antipathie à
la vie qui est ensuite tournée vers lextérieur
pour flétrir le reste. Ils sont « les grands contempteurs
de la vie... les partisans du sacrifice de soi absolu... leurs
vies tordues par leur monstrueux ascétisme... » 8.
Nous pouvons voir cela dans notre propre mouvement, par exemple
sur les lieux occupés, dans lantagonisme entre le
désir de sasseoir et de prendre du bon temps versus
léthique coupable du type travail de construction/fortification/barricadage,
et dans la passion quelque fois excessive avec laquelle les «
déjeuners en ville » sont dénoncés.
Le martyr qui se sacrifie lui-même est offensé et
outragé quand il en voit dautres qui ne se sacrifient
pas. De même, quand l« honnête travailleur
» attaque le petit voleur ou le vagabond avec une telle
haine, nous savons que cest en fait parce quil hait
son travail et le martyre quil a fait de sa vie, et pour
cela déteste voir quiconque échapper à ce
destin, quiconque samuser alors quil souffre
il doit entraîner tout le monde dans la boue avec lui
une égalité du sacrifice de soi.
Dans la vieille cosmologie religieuse, le martyr victorieux allait
au ciel. Dans la vision moderne, les martyrs victorieux peuvent
aspirer à entrer dans lhistoire. Le plus grand sacrifice
de soi, la plus grande création de rôle (ou, mieux,
linvention dun tout nouveau rôle pour stimuler
les gens par exemple celui de guerrier écologiste)
gagne une récompense dans lhistoire le paradis
des bourgeois.
La vieille gauche était assez franche dans son appel au
sacrifice héroïque : « Sacrifiez-vous dans la
joie, frères et surs ! Pour la cause, pour lordre
établi, pour le parti, pour lunité, pour la
viande et les patates ! » 9. Mais tout ceci est beaucoup
plus voilé ces temps-ci : Vaneigem accuse les jeunes gauchistes
radicaux d « entrer au service dune Cause
la meilleure des Causes. Leur temps de créativité,
ils le passent à distribuer des tracts, à coller
des affiches, à manifester, à prendre à partie
le président de lassemblée régionale.
Ils militent. Il faut bien agir, puisque les autres pensent pour
eux » 10.
Cela résonne en nous particulièrement lidée
du fétichisme de laction les militants gauchistes
peuvent sengager dans un travail sans fin parce que le chef
ou gourou a le petit nécessaire de théories, qui
est pris pour du pain béni la « ligne du parti
». Il nen est pas tout à fait de même
pour les activistes pratiquant laction directe laction
est fétichisée, mais plus par aversion pour la théorie
quelle quelle soit.
Cet élément du rôle de lactiviste qui
sappuie sur le sacrifice de soi et le devoir était
présent, mais pas si significatif, dans laction du
18 juin. Ce qui pose le plus de problèmes pour nous, cest
ce sentiment de séparation du reste des gens ordinaires
que lactivisme implique. Les gens sidentifient
à détranges subcultures ou à des clans,
ils se voient en tant que nous opposé au
eux sous lequel est regroupé le reste du monde
.
Isolement
Le rôle dactiviste est un isolement volontaire par
rapport à tous les gens avec lesquels nous devrions communiquer.
Endosser le rôle de lactiviste vous sépare
du reste du genre humain, comme quelquun de spécial
ou de différent. Les gens ont tendance à penser
leur propre personne au pluriel (à qui te réfères-tu
quand tu dis « nous » ?), en se référant
à une communauté dactivistes plutôt
quà une classe. Par exemple, il est à la mode
depuis quelque temps dans le milieu activiste dargumenter
en faveur de « moins de thèmes sectoriels »
et de limportance de « créer des liens ».
Cependant, pour la plupart, il sagit de « faire des
liens » avec dautres activistes et dautres groupes
de lutte. Le 18 juin la assez bien démontré,
lidée étant de rassembler tous les représentants
de toutes les différentes causes ou questions dans le même
lieu au même moment, en nous reléguant volontairement
dans le ghetto des bonnes causes.
De la même manière, les divers forums qui ont récemment
proliféré à travers tout le pays Rebel
Alliance à Brighton, NASA à Nottingham, Riotous
Assembly à Manchester, London Underground, etc.
ont un but similaire : amener tous les groupes activistes de la
région à parler ensemble. Je ne dénigre pas
cela, cest un préliminaire essentiel à toute
action, mais cela devrait être reconnu comme une forme extrêmement
limitée pour « créer des liens ». Il
est aussi intéressant de noter que ce que les groupes qui
participent à ces rencontres ont en commun, cest
dêtre des groupes activistes ce dont ils soccupent
en fait semble être secondaire.
Il ne suffit pas de chercher à lier tous les activistes
du monde entier, pas plus quil ne suffit de chercher à
transformer plus de gens en activistes. Contrairement à
ce que certains peuvent penser, nous ne serons pas plus proches
dune révolution si énormément de gens
deviennent des activistes. Certains semblent avoir létrange
idée quil faut que chacun soit dune façon
ou dune autre convaincu de devenir un activiste, et alors
nous aurons une révolution. Vaneigem dit : « La révolution
est faite chaque jour en opposition à, et malgré,
les spécialistes de la révolution » 11.
Le militant ou lactiviste est un spécialiste du changement
social ou de la révolution. Le spécialiste recrute
dans sa minuscule zone spécialisée pour augmenter
son propre pouvoir et ainsi combattre sa propre impuissance. «
Le spécialiste... senrôle pour enrôler
les autres » 12. Selon le principe de la pyramide, la hiérarchie
se réplique vous êtes recruté et pour
ne pas être en bas de la pyramide, vous devez recruter plus
de gens qui soient en dessous de vous, qui à leur tour
font exactement la même chose. La reproduction de la société
aliénée des rôles saccomplit à
travers les spécialistes.
Jacques Camatte, dans son essai Sur lorganisation (1969)
13, souligne judicieusement que les groupements politiques finissent
souvent comme des « gangs » qui se définissent
par lexclusion la loyauté des membres du groupe
va à ce dernier plutôt quà la lutte.
Sa critique sadresse particulièrement à la
myriade de sectes gauchistes et de groupuscules, mais sapplique
aussi, bien que moins profondément, à la mentalité
activiste.
Le groupe politique ou parti se substitue au prolétariat
; sa propre survie et sa reproduction deviennent la valeur suprême
lactivité révolutionnaire devient synonyme
de « construire le parti » et recruter des membres.
Le groupe se considère lui-même comme lunique
détenteur de la vérité et ceux qui sont hors
du groupe sont traités comme des idiots devant être
éduqués par cette avant-garde. Au lieu dun
débat équitable entre camarades, on obtient une
séparation entre la théorie et la propagande, où
le groupe a sa propre théorie qui est presque gardée
secrète dans lidée que les autres, les arriérés
mentaux, doivent être attirés dans lorganisation
par une stratégie populiste avant que la politique surgisse
devant eux par surprise. La façon malhonnête de traiter
avec ceux qui sont hors du groupe est semblable à un culte
religieux dans lequel on ne dit jamais en face de quoi
il sagit.
Nous pouvons trouver des similitudes avec lactivisme, en
cela que le milieu activiste agit comme une secte gauchiste. Lactivisme
dans son entier a certaines caractéristiques propres à
un « gang ». Les gangs dactivistes peuvent souvent
se révéler être des alliances ignorant les
classes sociales, et incluent toutes sortes de réformistes
libéraux parce queux aussi sont des « activistes
». Les gens se pensent dabord comme activistes et
leur loyauté première va à la communauté
dactivistes et non à la lutte elle-même. Le
« gang » est une communauté illusoire qui nous
détourne de la création dune plus large communauté
de résistance. Lessence de la critique de Camatte
est une attaque contre la création dune division
interne/externe entre le groupe et la classe sociale. Nous en
arrivons à nous considérer comme des activistes,
en cela séparés et ayant des intérêts
divergents par rapport à la masse des prolétaires.
Notre activité devrait être lexpression immédiate
dune lutte réelle et non pas laffirmation du
caractère séparé et distinct dun groupe
particulier. Dans les groupes marxistes, la possession de la «
théorie » est ce qui détermine le pouvoir
cest différent dans le milieu activiste, mais
pas si différent : le savoir, lexpérience,
les contacts, léquipement, etc. sont ce qui détermine
le pouvoir.
Lactivisme reproduit la structure de cette société
dans ses opérations : « Quand le rebelle commence
à croire quil combat pour un bien supérieur,
le principe autoritaire revient » 14. Ceci nest pas
un sujet trivial, mais est à la base des relations sociales
capitalistes. Le capital est une relation sociale entre des gens
médiatisés par des choses le principe de
base de laliénation est de vivre sa vie au service
dune chose quon a soi-même créée.
Si nous reproduisons cette structure au nom dune politique
qui se déclare anticapitaliste, nous avons perdu avant
davoir commencé. On ne peut combattre laliénation
avec des moyens aliénés.
Une
modeste proposition
La modeste proposition est que nous devrions développer
des moyens dagir qui sont en rapport avec nos idées
radicales. Cette tâche ne sera pas facile et lauteur
de ce texte na pas dapperçu plus clair que
quiconque sur la façon dont nous devrions nous y prendre.
Je ne dis pas que linitiative du J18 aurait dû être
abandonnée ou attaquée, en fait ce fut une tentative
courageuse de repousser nos limites et de créer quelque
chose de mieux que ce que nous avons déjà. Cependant,
dans ses tentatives de rompre avec les manières antiques
dagir, elle a éclairci les liens qui nous rattachent
encore au passé. Mes critiques de lactivisme, ci-dessus,
ne sappliquent pas toutes au 18 juin. Mais il y a un certain
paradigme de lactivisme qui au pire inclut tout ce que jai
souligné là, et le 18 juin partage ce paradigme
dans une certaine mesure. Cest à chacun de déterminer
dans quelle mesure.
Lactivisme est une forme en partie obligée par notre
faiblesse. Comme laction commune menée par Reclaim
the streets et les dockers de Liverpool nous vivons une
époque dans laquelle les politiques radicales sont souvent
le produit de faiblesses mutuelles et disolation. Si tel
est le cas , il ne nous est peut être même pas possible
de nous débarrasser de ce rôle dactiviste.
Il se peut que dans des temps daffaiblissement de la lutte,
ceux qui continuent à travailler à la révolution
sociale soient marginalisés et en viennent à être
perçus (et à se percevoir eux-mêmes) comme
un groupe séparé des gens. Il est possible aussi
que ce phénomène ne puisse être inversé
que par un déferlement général de la lutte,
lorsque nous ne serons plus considérés comme des
freaks et des weirdos (ndt des semi-clochards et des marginaux),
nous serons lexpression des idées de tout un chacun.
Cependant, pour travailler à intensifier la lutte, il sera
nécessaire de rompre avec le rôle dactivistes
dans toute la mesure du possible dessayer constament
de passer au-delà des frontières de nos limites
et contraintes.
Historiquement, ces mouvements qui ont réussi à
déstabiliser, supprimer ou à dépasser le
capitalisme nont pas tous pris la forme de lactivisme.
Lactivisme est essentiellement une forme politique et une
méthode daction adaptée à un réformisme
libéral poussé au-delà de ses propres limites
et utilisé à des fins révolutionnaires. Le
rôle de lactiviste, en soi, devrait être problématique
pour tous ceux qui désirent la révolution sociale.
Andrew X.
SDEF ! - c/o Prior House - Tilbury Place -
Brighton BN2 2GY - Royaume Uni
Notes :
1 Squatting up to the Square Mile : A Rough Guide to the City
of London, J18 Publications (UK), 1999, p. 8
2 Voir « Direct Action : Six Years Down the Road »,
Do or Die n°7, p. 3
3 Raoul Vaneigem, The Revolution of Everyday Life, traduction
Donald Nicholson-Smith (Left Bank Books/Rebel Press, 1994) - première
publication en 1967, pp. 131-3. [Traité de savoir-vivre
à lusage des jeunes génération ; nous
avons rétabli dans les citations le texte original chaque
fois que nous lavons retrouvé].
4 Voir « The Day they Drove Twyford Down », Do or
Die n°1, p. 11
5 Voir « Personality Politics : The Spectacularisation of
Fairmile », Do or Die n°7, p. 35
6 voir note 2, p. 128
7 voir note 2, p. 107
8 voir note 2, p. 109
9 voir note 2, p. 108
10 voir note 2, p. 109
11 voir note 2, p. 111
12 voir note 2, p. 143
13 Jacques Camatte « On Organization » (1969)
dans This World We Must Leave and Other Essays (New York, Autonomedia,
1995).
14 voir note 2, p. 110
[Ce texte a pour titre original « Give up activism ».
Il est paru après le carnaval anticapitaliste du 18 juin
1999 à Londres qui a viré à lémeute,
dans une brochure intitulée « Reflections on J18
» éditée en octobre 1999 par Reclaim the Street.
Il a été traduit en français dans Je sais
tout de décembre 1999 pp. 1 & 18-23 et dans Echanges
n°93, printemps 2000, pp. 7-14. Nous avons ajouté lintroduction
et la conclusion, qui navaient pas été traduites,
ainsi que les notes et un petit bout qui avait été
omis]