" Dans le marécage, limites et perspectives de la répression anti-anarchiste"
éd. La conjuration des Ego, juin 2000, 50 pages

LE ROS EST NU

Limites et perspectives de la répression anti-anarchiste.
Comment on fabrique une enquête judiciaire,
Comment on se procure un « repenti »
et comment on en arrive au procès


SACHE, LECTEUR, que la magistrature romaine a interdit de divulguer « le rapport de service » ici publié. Ses auteurs - les carabiniers [gendarmes] - l'ont désavoué. Mais leur responsabilité est tellement évidente, et la rage d'avoir été démasqué si forte, qu'ils ont décidé de s'en prendre à ceux qui ont eu l'audace d'en parler les premiers.

Le roi s'est fâché contre l'enfant qui a montré du doigt l'honteuse nudité. L'enfant en question, c'est Radio Black Out, une « radio libre » de Turin qui, le 10 juillet 1997, s'est vue adresser ce « rapport de service » du ROS (Regroupement Opérationnel Spécial) de Rome. Ce texte détaille le pourquoi et le comment d'une enquête judiciaire bâtie à l'encontre de dizaines d'anarchistes grâce à l'utilisation d'une « collaboratrice de justice » . Cette enquête existe effectivement, et d'ailleurs le texte diffusé ici fut joint aux audiences préliminaires devant le juge d'instruction quelques jours après son apparition. Mais il ne s'agit pas d'un compte-rendu fait a posteriori comme on pourrait le croire ; il s'agit de la programmation d'une enquête judiciaire, ce document étant daté de décembre 1994. En bref, il apparaît que ce raid contre les anarchistes a été décidé, étudié et programmé sur le papier par les carabiniers du ROS de Rome il y a 3 ans. Le texte que nous reproduisons [traduit et donc retapé] en est la démonstration, et constitue une éclatante confirmation a posteriori de ce que les anarchistes ont mis en évidence et dénoncé à plusieurs reprises au moyen de tracts, d'affiches, de journaux et d'initiatives publiques depuis bientôt deux ans.

Vu l'importance de ce document, les rédacteurs de la radio turinoise l'ont rendu public, naturellement après en avoir consigné un exemplaire à la préfecture comme le veut la loi. Ils l'ont également remis aux avocats des anarchistes, occupés à cette époque par les audiences préliminaires.

Présenté en salle d'audience, ce document a fait l'effet d'une bombe. Le juge d'instruction, très embarrassé, après s'être enfermé dans la salle des délibérations avec le substitut-procureur chargé de l'enquête, a décidé de ne pas le prendre en compte, émettant l'hypothèse qu'il s'agissait d'une « maladroite tentative » de renvoyer le procès. Les avocats de la défense ont organisé une conférence de presse au tribunal de Rome où seuls deux journalistes ont eu le courage de se présenter. D'autres journalistes interrogés, bien que conscients de l'importance de ce rebondissement, ont répondu ne pas être intéressés par le sujet car les anarchistes « ne font pas l'actualité », ça ne fait pas vendre. Les jours suivants, les carabiniers du ROS (encore eux) ont perquisitionné deux fois le siège de la radio turinoise « à la recherche de preuves » confirmant la thèse du faux - unique porte de sortie pour les carabiniers et le parquet de Rome.

Mais la thèse d'un faux ne tient pas debout et ne convainc personne. Evaluons ensemble les faits : le ministère public présent dans la salle d'audience le jour où les avocats de la défense ont présenté le document du ROS, après en avoir pris connaissance, a d'abord émit l'hypothèse qu'il s'agissait d'une « violation du secret de l'instruction », ce qui signifiait grosso modo qu'il reconnaissait explicitement l'authenticité du texte en question. Une belle gaffe ? Mais passons.

Ce rapport contient de nombreuses données et références d'anciens rapports de police qui se sont révélés exacts. Par exemple le nom des militaires qui l'ont réalisé correspond à des personnes effectivement existantes. Mais se sont surtout leurs grades en décembre 1994 qui correspondent (ils en ont changé depuis, ayant entre-temps obtenu de l'avancement sur le dos des anarchistes victimes de l'enquête). Le langage utilisé est caractéristique de ces messieurs, et la longueur du texte est telle qu'elle rend ardue toute imitation. La réaction du juge d'instruction et du ministère public face à l'apparition imprévue de ce document est également révélatrice ; plutôt que de donner l'ordre immédiat de mettre sous scellés tous les dossiers du ROS relatifs à cette enquête - ce qui ne pouvait effrayer personne si les carabiniers étaient véritablement étrangers à l'écriture du document -, le juge d'instruction a préféré prendre son temps pour ensuite confier les enquêtes concernant l'affaire à des services non-spécialisés de police judiciaire.

Les perquisitions à la radio turinoise qui ont suivi, effectuées par le même ROS, montrent jusqu'où le jeu est mené à cartes découvertes. La magistrature romaine a chargé de l'enquête sur la note de service ses auteurs eux-mêmes ! Mais encore plus incroyable, celui qui dirigeait les deux perquisitions était un de ceux qui rédigèrent « la note d'information réservée » (1).

Mais à notre avis, l'élément le plus important pour juger de l'authenticité de ce document est autre : la date de son envoi. Voyons pourquoi.
La note d'information sur les anarchistes est parvenue à Radio Black Out le 10 juillet 1997. Deux jours auparavant, dans tous les quotidiens, était publiée la nouvelle d'un scandale relatif au Regroupement des Opérations Sales de Gênes. Un « repenti » ayant vidé son sac avait fait arrêter le lieutenant-colonel Michele Riccio, responsable du ROS de cette même ville, et d'autres sous-officiers, tous inculpés d'avoir falsifié des preuves, fabriqué des enquêtes et manipulé des « repentis » . Qui est Michele Riccio ? C'est l'ex-chef de la DIA (brigade anti-mafia) de Gênes, médaille d'argent du mérite militaire de l'« antiterrorisme » (c'est lui qui commandait le groupe qui cribla de balles les brigadistes de Via Fracchia), mais surtout l'ex-bras droit du général Dalla Chiesa dans le mythique groupe d'intervention, que tout le monde dénonce aujourd'hui comme n'y allant pas de main morte pour obtenir de quelconques résultats.

Au cours de l'enquête sur le ROS de Gênes, on ressort d'un dossier une lettre envoyée le 21 mars dernier par un carabinier anonyme, adressée au conseil supérieur de la magistrature, au parquet de Gênes, au commandement général des carabiniers, etc. Celle-ci fut occultée. Le carabinier sans nom a révélé les méthodes utilisées par les sous-officiers du ROS de Gênes, méthodes bien connues des hautes sphères des carabiniers et de certains magistrats qui les ont toujours tues. Il a ajouté que ces pratiques sont toujours en vigueur dans les différentes brigades des carabiniers. Mais la lettre ayant été soigneusement enterrée, le scandale n'a éclaté qu'à la suite des déclarations du « repenti » . Faut-il s'étonner que l'expéditeur anonyme du texte que nous reproduisons ici ait décidé de l'envoyer à une « radio libre » ? Et nous ne pouvons pas nous empêcher de nous demander à combien d'autres il a pu l'envoyer.

Interpellés sur l'affaire Riccio par un journaliste, quelques officiers des carabiniers du ROS de Rome ont répondu : « Il arrive parfois que les juges et surtout la police judiciaire enfreignent les règles lorsqu'ils veulent éliminer quelqu'un de gênant ; on a pas la patience d'attendre pour obtenir les preuves qui confirment les soupçons » . Maintenant apparaissant clairement les méthodes adoptées par le ROS dans la gestion des « repentis », dans la falsification des preuves nécessaires pour charger quelqu'un de « casse-pieds » . Maintenant personne ne pourra feindre d'ignorer comment on « fabrique » des témoins et des « repentis » ad hoc pour monter des enquêtes judiciaires. Mais comme quelqu'un l'a justement fait noter, on ne peut pas décharger sur un seul fonctionnaire toute la pourriture. Il est erroné de parler de « méthode Riccio » parce que nous savons désormais qu'il s'agit des méthodes ROS, DIA,... Les tentatives désespérées de circonscrire l'affaire à la seule ville de Gênes (faites par le colonel Mario Mori, chef du ROS, selon lequel les méthodes d'investigation utilisées par son sous-commandement de la Ligurie « ne sont pas les méthodes du ROS ») sont réduites à néant par le document que nous présentons ici.

Revenons à la question du « faux » . Est-il plausible que quelqu'un, avocat, journaliste « complaisant », inculpé ou ami, ait profité du bruit créé par le scandale Riccio pour confectionner en quelques heures, deux jours maximum, un tel document ? Quelqu'un aurait-il pu se procurer toutes les informations nécessaires, qu'on ne peut obtenir qu'à la lecture attentive des 80 000 pages et plus qui composent le dossier d'enquête, et ensuite les agencer avec une précision et une rapidité telles ? On ne peut que répondre par la négative. Cela nous semble impossible. Même un carabinier du ROS, qui a pourtant toutes les facilités concédées par sa fonction, n'aurait pu mener à bien, seul, une telle entreprise.

Ne reste alors qu'une seule possibilité sérieuse et concrète : le rapport interne du ROS est authentique. Suite au scandale de Gênes qui a eu des répercussions jusqu'à Rome, un carabinier quelconque a expédié ce document à Radio Black Out de Turin, et sûrement à d'autres médias. Nous ignorons quelles ont été les motivations qui l'ont conduit à accomplir un tel geste. L'a-t-il fait pour déclencher une guerre interne dans le ROS, ou pour démentir le colonel Mori, ou bien était-il convaincu que les organes de répression de l'Etat devraient s'en tenir aux règles démocratiques ? Franchement, on ne tient pas à la savoir.

Ce que nous voulons, c'est que personne ne puisse faire semblant de ne pas savoir comment et pourquoi des dizaines d'anarchistes sont emprisonnés en Italie, et parmi eux, certains en préventive. Une histoire négligée par tous que nous voulons rappeler.

La justice au travail

Mardi 17 septembre 1996
, avant l'aube. Un grand nombre de carabiniers sous les ordres du R.O.S. (Section spéciale) fait irruption aux domiciles de 70 anarchistes du Nord au Sud de l'Italie. C'est le point de départ spectaculaire de la deuxième phase d'une opération judiciaire commencée officiellement le 16 novembre 1995 par l'ouverture d'une enquête contre 68 personnes. Sur demande de deux procureurs de Rome, Marini et Ionta, le juge d'instruction Claudio D'Angelo lance des mandats d'arrêt à l'encontre de 29 anarchistes sous le chef d'accusation de « participation a bande armée, association subversive, détention d'armes et d'explosifs » ; certains sont soupçonnés aussi d'avoir commis « des attentats contre des installations publiques et des attaques à main armée » ; plusieurs sont même accusés « d'homicide et d'enlèvement » . Parmi les 29 anarchistes, 9 sont déjà emprisonnés pour d'autres faits, 12 en état d' arrestation et 8 restent en liberté.

Quelques heures plus tard, le magistrat Marini donne une conférence de presse et s'explique sur la prétendue « bande armée » ; La « bande » s'appelle « O. R. A. I. » (Organisation Révolutionnaire Anarchiste Insurrectionaliste), un nom exotique dont personne n'a entendu parler, une organisation fantôme qui n'a jamais revendiqué aucune action. Cette « bande » se serait autofinancée avec l'argent provenant des hold-ups et des enlèvements organisés en collaboration avec des « criminels de droit commun » . L'argent aurait servi à la publication de certains journaux anarchistes : Anarchismo, Provocazione, Canenero. Marini tient à préciser qu'il ne s'attaque pas aux idées. (« Dans une vraie démocratie, tout être peut exprimer les opinions qu'il veut, y compris les plus critiques. Même les anarchistes, s'ils font de la politique honnêtement, peuvent apporter leur contribution à un pouvoir respectueux des droits individuels »). Beaucoup d'anarchistes - par chance - sont des honnêtes gens, mais pas ceux-là. Ceux-là ne sont pas autre chose que de dangereux criminels avec une inexplicable tendance à la subversion de l'ordre démocratique. Comme toute « bande » qui se respecte, elle doit forcément avoir un chef : ce chef, c'est Alfredo Bonanno, un anarchiste très connu. La presse de tout bord dépoussière les titres des années 70 pour faire ressurgir le spectre du « terrorisme » . L'organisation serait à double niveau. Le premier, « clair et public, est représenté par l'activité politique du mouvement, par les débats dans les squats, par des manifestations, des publications et des conférences » . Le deuxième, « occulte et compartimenté, a comme objectifs de commettre des attentats, des hold-up et des enlèvements » . Ce théorème terroriste du Pouvoir permet du même coup d'accuser de complicité tous ceux qui fréquentent les squats, diffusent la presse subversive, ont des rapports d'amitié et de solidarité avec des individus considérés comme « dangereux », bref, tous ceux qui ne sont pas des citoyens satisfaits ou résignés. Tout cela contribue à créer un climat d'intimidation et permet à l'Etat de cloisonner les luttes pour mieux les réprimer.

Quel anarchiste pourrait jamais soutenir l'existence d'une structure clandestine paramilitaire et hiérarchique ? Les anarchistes ne sont ni des couillons ni des léninistes.

Ils savent que les moyens contiennent déjà les fins. Une organisation militaire ne sert qu'à ceux qui veulent conquérir le pouvoir politique, certainement pas à ceux qui veulent le détruire. Des individus se réclamant de l'anarchie ne peuvent pas constituer une « bande armée » . Et cela, non pas uniquement parce qu'ils refusent le rôle du clandestin, mais aussi parce qu'ils n'acceptent pas d'être membres d'une structure qui fait de l'affrontement armé une réalité séparée de la totalité subversive, la représentation détachée - donc fausse - des luttes. Rien de tout cela ne change si quelque anarchiste, individuellement et assumant toutes ses responsabilités, décide de prendre les armes. Et même, avec toute la fantaisie imaginable, si tous les inculpés, voire tous les anarchistes du monde, avaient - en plus d'écrire, de discuter, de faire l'amour, de placarder des affiches, d'insulter les chefs, de déserter le travail, d'occuper des maisons, de saccager des supermarchés - pris les armes, on ne pourrait pas encore les considérer comme une « bande armée » .

C'est bien parce que l'Etat ne peut admettre l'existence d'individus unis par des rapports d'affinité (non prévus dans le schéma de la société dominante), qu'il doit traduire ces rapports dans les seules formes qu'il sait reconnaître, et donc combattre : un chef, une armée, un ennemi. Le pouvoir sait seulement se regarder dans un miroir.

Comment en sont-ils arrivés aux arrestations ?

Il y a plusieurs raisons et un fait qui sert de prétexte. Commençons par le fait-prétexte.

Le 19 septembre 1994. Cinq anarchistes (Antonio Budini, Jean Weir, Christos Stratigopoulos, Eva Tziutzia et Carlo Tesseri), sont arrêtés à Serravalle (Province de Trente), suite à un hold-up. Le 1er juin 1995, la Cour d'Appel de Trente condamne tous les inculpés à 3 ans et 4 mois de prison, excepté Carlo qui est condamné à 4 ans, parce que récidiviste. Tout de suite, une grande solidarité envers les détenus se manifeste par des affichages dans toute l'Italie, des concerts, des fêtes de soutien pour couvrir les frais de la défense, des envois de lettres et de télégrammes, ainsi que par une forte présence de copains pendant toutes les séances du jugement ; entre autres, la veille du procès en appel, une cinquantaine d'anarchistes mène une bruyante initiative devant la prison avec moult pétards et fusées.

Dès le 19 avril, le juge Carlo Ancona avait essayé de coller sur le dos des inculpés (excepté Eva) deux autres attaques à main armée qui avaient été perpétrées dans la région et qui étaient restées sans coupables. Le procès pour ces faits nouveaux est fixé au 13 octobre 1995 à Trente. Le jugement est renvoyé à plusieurs reprises de façon incompréhensible jusqu'au jour où une vague de perquisitions effectuées dans toute l'Italie révèle le montage de Marini. Lorsque, le 9 janvier 96, s'ouvre le procès à Trente, l'avocat général Bruno Giardina annonce que Mojdeh Namsetchi, ex-petite amie de Carlo Tesseri, collabore, depuis quelques mois, avec les juges de Rome et de Trente. Pendant l'audience du 16 janvier 96, la jeune femme - que personne ne connaît et qui n'a jamais participé aux initiatives du mouvement - déclare avoir commis les hold-up avec les anarchistes inculpés. L'amnésie dont elle est frappée est révélatrice. Elle ne se souvient pas des vêtements qu'elle portait, de celui ou de celle qui a pris l'argent, si elle a fait tomber ou non le pistolet, si par hasard un coup est parti, elle se trompe sur le déroulement des faits et affirme qu'elle et ses compagnons incriminés se sont enfuis à six dans une seule voiture (histoire de voyager à l'aise et de passer inaperçus). Bref, la seule chose dont elle se souvienne bien, ce sont les noms des trois autres anarchistes qu'elle dénonce (Guido Mantelli, Roberta Nano et Emma Sassosi). Cela suffit pour que le tribunal condamne le 31 janvier 1996 Antonio, Jean et Christos à six ans et demi et Carlo à sept années de prison, pendant que dehors la police charge ceux qui sont venus exprimer leur solidarité. D'autre part, sachant que cette fille collaborait avec les juges depuis mars 1995 (donc 7 mois avant le début du procès), pourquoi ces déclarations ne sont-elles utilisées que 10 mois après ? Simplement parce que les magistrats avaient besoin de tout ce temps pour construire leur théorème accusatoire, afin d'instruire comme il faut leur « protégée » . Mise à l'épreuve, en réalité très maladroitement, sur la petite scène de Trente, la fausse repentie est prête pour le grand spectacle. Ainsi, même si aucun fait nouveau n'est apparu, les arrestations ont été rendues possibles à cause de ses autres « révélations » . Et quelles révélations ! Enlèvements organisés dans des appartements où tout le monde pouvait aller et venir à sa guise, homicides commentés dans des réunions publiques avec les noms des anarchistes qui les auraient commis - ce qui confine au délire. De par la crédibilité jusqu'ici accordée par le tribunal de Trente à « ses » témoignages, on passe tout naturellement à la création d'une organisation, dont Mojdeh Namsetchi aurait été membre ; de fait, quiconque peut dès lors être accusé d'appartenir à cette « organisation » . En effet, quel meilleur moyen pour avaliser la thèse d'une « bande armée » qui n'existe pas, que celui de se doter d'un personnage qui jure en avoir fait partie ? Certes, pour désigner les coupables et élucider ainsi des dizaines de cas laissés en suspens depuis les dix dernières années, cette jeune fille n'est pas la mieux indiquée - elle a un peu plus de 20 ans et n'a jamais été anarchiste - mais le juge Marini n'a pas réussi à trouver mieux.

Passons maintenant aux raisons

En inventant une « bande armée », l'Etat obtient du même coup

• La possibilité de faire taire pendant des années, même en l'absence d'accusations spécifiques, un bon nombre d'anarchistes. Chose qu'il ne pouvait pas obtenir avec les procès habituels pour occupations illégales, résistance à la Force Publique, apologie de la violence, etc.
• La légitimation pour généraliser la criminalisation des squatters qui refusent de se légaliser, de ceux qui n'ont pas de travail fixe, de ceux qui soutiennent les copains emprisonnés, bref, de tous ceux qui veulent vivre et non pas survivre.
• La preuve que même les ennemis de l'autorité s'organisent d'une façon autoritaire - autant dire qu'on ne peut échapper aux rapports de contrôle et de soumission, de dirigisme et spécialisation.
• L'occasion de renouveler l'illusion que, en dehors de la survie et de l'attentisme, de la résignation et de la délégation de pouvoir, ne subsiste que l'organisation clandestine militarisée -prolongement de la politique avec d'autres moyens. Une fois le spectacle des partis combattants misérablement consumé, tout discours insurrectionnel est disqualifié.
• La confirmation que ceux qui se révoltent sont les derniers fantômes d'une idéologie révolutionnaire.

C'est pourquoi la domination se présente comme éternelle. La démocratie, c'est la liberté. Une révolte contre la liberté est inconcevable, donc elle n'existe pas. Tous doivent croire que, contre le présent démocratique, rien ne se passe. Que rien ne peut se passer. Que ce qui se passe est l'oeuvre de « terroristes », c'est donc comme s'il ne se passait rien. Aux exploités qui ne veulent pas grossir les rangs d'un parti armé, ou en contempler comme des spectateurs les gestes, il ne reste que la protestation légale - voilà ce que dit le pouvoir. Ou réformisme, ou barbarie. La conclusion de cette logique totalitaire, c'est qu'aucun changement réel n'est possible.

Comme on peut le voir, les raisons pour construire ce théorème ne manquent pas aux puissants. Mais les révoltés en ont encore plus pour le détruire.

(1) Trois rédacteurs de Radio Black Out ont été poursuivis pour « fabrication de faux » . Le procès est toujours en cours. L'antenne de la radio a été par la suite sabotée par des mains expertes, ce qui a empêché les émissions pendant plusieurs mois.

Traduction d'un texte paru dans Il ROS è nudo. Come si fabbrica un'inchiesta giudiziaria, NN [c.p. 52 - 11026 Pont St. Martin (AO)], 1998, 40 pp., plus une partie extraite du Loup-Garou n°1 (novembre 1996)