" Dans le marécage, limites et perspectives de la répression anti-anarchiste"
éd. La conjuration des Ego, juin 2000, 50 pages

LA QUADRATURE DU CERCLE
ou la raison d'Etat


LE PROCÈS MARINI est entré dans sa phase terminale. Le 23 février 2000, le procureur a présenté ses requêtes de condamnation : pour les 31 accusés de « promotion, constitution, organisation et participation à une bande armée », les peines demandées sont comprises, pour la plupart, entre cinq et douze ans de prison, plus quatre requêtes de perpétuités et deux de trente ans ; pour les 16 personnes inculpées pour « association subversive », les peines sollicitées varient entre un an et demi et trois ans de prison ; 7 personnes sont accusées de quelques délits mineurs (vol, recel, etc.). 9 acquittements ont eu lieu au cours de l'instruction.

Sans entrer dans les détails des différents délits - en plus de ceux d'association - dont est accusé tel ou tel autre compagnon, il est important de faire remarquer que la requête de quatre condamnations à perpétuité fait référence au délit de « massacre » . En réalité, il s'agit d'une voiture piégée que l'anarchiste Luigi De Blasi était en train de préparer il y une dizaine d'années et qui a explosé provoquant ainsi sa mort. Malgré le fait que la seule victime de l'explosion fut donc son auteur involontaire, le procureur a demandé - avec l'aide de l'irremplaçable « repenti » - la condamnation de quatre autres personnes (et cela même pas pour « tentative de massacre » - il prétend que la cible devait être des policiers - , mais pour « massacre » - le massacre... d'un anarchiste). C'est un exemple parlant de la logique de ce procès.

Mais la chose la plus instructive, c'est de suivre les aménagements stratégiques de Marini face aux contradictions de son enquête maladroite.

Dans son réquisitoire, le juge ineffable a admis que le sigle « O.R.A.I. » n'a jamais existé. « Appelons-la, si l'on veut, organisation informelle : cela ne change rien. Appelons-la O.R.A.I. [...]. Appelons-là A.R. Qu'est-ce que ça change ? Organisation anarchiste, cela suffit. Ce n'est pas le sigle qui change la substance, ne nous barricadons pas derrière les malentendus. Si le sigle n'existe pas, cela ne change rien. Indépendamment de ce qui a été fait, il existe des liens associatifs » . Il a fait remarquer que la loi sur la « bande armée » avait été bâtie exprès, en 1979, sur le concept de « culpabilité anticipée » afin de punir la « conspiration politique » . C'est un article de loi —a continué notre champion de jésuitisme— contenu non pas dans le code fasciste Rocco, mais dans la législation démocratique. La présomption de danger est suffisante, quand l'« attitude politique » consiste à refuser la « méthode démocratique du dialogue » et à « prôner ouvertement la destruction de l'Etat » .


« La destruction est au sommet de la pensée des anarchistes » a répété Marini en citant un passage du Manuel de l'anarchiste explosiviste. Il a ensuite fait référence aux actions à l'explosif contre deux casernes (actions qui lui avaient été dédicacées) et à l'attaque contre le palais municipal de Milan. Il a expliqué n'avoir rien contre les idées anarchistes, arrivant à déclarer qu'il respecte, par exemple, la Fédération anarchiste et son attitude « pacifiste » . Mais avec ces anarchistes criminels, c'est autre chose.

Il affirme que dans cette « bande armée », d'accord, il n'y a pas de chefs ou dirigeants, seulement quelques « inspirateurs », mais qu'il ne faut pas se laisser arrêter par les formulations légales du code pénal. Ces anarchistes ne sont-ils pas pour la subversion de l'ordre démocratique ? Ne nous disent-ils pas qu'entre théorie et action il ne peut y avoir de séparation possible ? Alors, s'ils n'ont pas encore commis des délits, c'est parce qu'ils se préparaient à les commettre. S'ils n'ont pas utilisé les armes (« bande armée »), ils ont fourni leur concours théorique et moral (« association subversive »). En plus, qui nous garantit que ceux qui participaient aux activité publiques (publication de journaux, débats dans les squats, manifestation, etc.) n'étaient pas les mêmes qui « baissant leur cagoule, comme on l'a vu dans les années 70, allaient faire des braquages ? » Est-ce qu'un Etat démocratique peut laisser en liberté des individus qui veulent le détruire ? « Parce que c'est cela que veulent Bonanno et les anarchistes insurrectionnalistes, et il n'est pas nécessaire que les actes de violence se manifestent, ceux-ci ne doivent pas forcément se concrétiser par des délits : l'attitude politique est suffisante » .

Ce sont parmi les phrases les plus claires prononcées dans une salle de tribunal. Ce sont les syllogismes impeccables de la raison d'Etat.

Contrairement aux apparences, les peines demandées n'ont pas été - par rapport à d'autres cas - très lourdes. D'un côté, le juge Marini s'est peut-être rendu compte que sa « bande armée », maladroite comme le ROS qui l'a inventée, ne tient visiblement pas debout (pas de nom, pas de revendications, pas de liens associatifs formels, pas de délits concrets pour la plupart des accusés, etc.) ; et qu'il vaut mieux se replier sur des accusations plus floues. De l'autre côté, ce qui l'intéresse, c'est tout simplement d'affirmer un procédé afin de l'élargir par la suite (il a déjà déclaré mener des enquêtes contre d'autres anarchistes). Il s'agit de dialectique - comme le dirait Hegel, qui en raison d'Etat s'y connaissait - entre victoire partielle et capitulation totale. Que ceux qui ne respectent pas cet esclavage nommé démocratie y soient préparés.